Initiée par les colons hollandais au XVIIe siècle, la viticulture représente aujourd’hui quelque 30% de l’agriculture de la province du Cap et fait vivre près de 300.000 personnes. Vingt-cinq ans après l’abolition de l’apartheid, les vignerons ont entrepris une longue mue visant à privilégier la quantité et non plus la quantité. Retour sur 350 ans d’Histoire.

A la fin du XVe siècle, le monde était partagé entre deux principales puissances du moment: le Portugal, dont l’ambition est de trouver la route des Indes, et l’Espagne, qui se concentre sur les Amériques, ne laissant aux Français que la région du futur Québec et les côtes du Brésil (Guyane). Si depuis 1487, des navigateurs doublent régulièrement le Cap de Bonne-Espérance, la pointe sud de l’Afrique n’offrit pendant longtemps aucun intérêt aux voyageurs. N’y vivaient alors que quelques “khoïsans”, des chasseurs-cueilleurs aussi appelés “boschimans” ou “hottentots”, qui s’affrontent aux marins qui tentent de faire escale.

Avec l’avènement des Provinces-Unies en 1584, présidées par la Hollande, la donne changea. La majorité des comptoirs portugais passèrent sous tutelle hollandaise et en 1602, les principales sociétés maritimes néerlandaises fusionnèrent pour donner naissance à la Compagnie des Indes orientales, VOC en abrégé, qui va régner sur le commerce en Inde et en Asie du Sud-Est pendant de longues années.

Ayant besoin d’étapes sur la route des Indes, la VOC installe en 1645 un premier comptoir de ravitaillement au nord du Cap. Deux ans plus tard, de retour du Japon, un navire de la VOC fait escale pour récupérer l’équipage d’un navire échoué. A son bord, le jeune Jan Anthoniszoon van Riebeeck comprend rapidement les potentialités de ce territoire africain et, de retour aux Pays-Bas, va convaincre la VOC d’y construire un fort pouvant accueillir 100 personnes, avec potager et verger. Le 6 avril 1652, cinq navires hollandais débarquent en Afrique du Sud sous le commandement de van Riebeeck: le premier établissement néerlandais du Cap est établi à la Table (“Table mountain”), ce jour sera considéré pendant longtemps comme le “Founders Day”, le jour fondateur de la future république sud-africaine.

Dans ses soutes, des pieds de vigne français, espagnols et allemands. Un choix étonnant, puisque la Hollande ne produisait pas de vin à cette époque, mais l’idée était sans doute de combattre le scorbut qui affectait les marins hollandais lors de leurs déplacements. En février 1659, les premiers raisins sont vendangés et pressés. Le succès de l’opération conduira le successeur de Van Riebeeck, Simon van der Stel, à planter des vignes à plus large échelle à Roschheuvel, connu aujourd’hui comme Wynberg. En 1685, avec la révocation de l’Edit de Nantes qui accordait des droits aux Protestants, plusieurs dizaines de milliers d’Huguenots affluent aux Pays-Bas. La VOC recrute nombre d’entre eux pour l’Afrique du Sud, mais imposait une condition essentielle à ces nouveaux citoyens appellés “freeburghers”: connaître la viticulture.

Vieilles vignes au Swartland

Vieilles vignes au Swartland

D’avril 1688 à mai 1689, 175 Huguenots vont ainsi émigrer et fonder des lignées dont on retrouve encore des descendants: Cellier et Pinard (cela ne s’invente pas), de Villiers, Rousseau ou Rétif. A leur arrivée, Van der Stel va les installer à 80km du Cap, entre Stellenbosch et Drakenstein dans un endroit qui va être rebaptisé “Fransche Hoek”, le coin français. Ce développement est encouragé par le gouverneur de la VOC qui élabore lui-même dans sa ferme Constantia, un vin blanc qui deviendra, après acquisition par la famille Cloete, l’un des vins doux les plus connus du monde.

Début 18e, la colonie se développe, les “trekboers” (“pasteurs blancs de la brousse”) vont étendre le territoire vers le Nord et l’Est, ce sont les premiers “afrikaners”. La VOC change alors de politique: l’immigration européenne cède la place à l’importation croissante d’esclaves noirs. De 1711 à 1794, année de la faillite de la VOC, le nombre d’esclaves est multiplié par 15: la future Afrique du Sud compte à la fin du siècle quelque 20.000 Blancs et 25.000 esclaves. Malgré des débuts prometteurs, l’industrie du vin ne décolle toutefois pas encore…

Vers la ségrégation raciale

La Compagnie de Indes ayant fait faillite, la France et l’Angleterre vont tenter de s’emparer de ce vaste marché. Après diverses péripéties qui relèvent de l’Histoire, le Cap repasse sous domination britannique en 1814. Une aubaine pour la viticulture locale, car, en guerre avec la France, l’Angleterre a besoin de vin. Les vignes du Cap passent en 45 ans de 13 à 55 millions de pieds et la production de vin de 0.5 à 4.5 millions de litres ! Grâce à un tarif préférentiel du Gouvernement britannique pour les vins coloniaux, la moitié de la production part en Angleterre.

En 1834, les esclaves sont émancipés sur l’ensemble de l’Empire britannique, donc aussi dans la pointe de l’Afrique du Sud. Ce qui déplaît fortement aux populations blanches locales, les “Boers” qui, de 1835 à 1854, vont entreprendre le “Grand Trek” (“la grande migration”) qui aboutira à la création de la république du Transvaal et de l’Etat libre d’Orange. Ces deux territoires donneront naissance en 1857 à la première république sud-africaine.

En 1861, l’Angleterre reprend le commerce avec la France et abolit ses tarifs préférentiels. Les exportations de vin s’écroulent peu de temps avant que, comme en Europe, le phylloxéra ne détruise le vignoble. Là aussi, des pieds américains résistants seront utilisés pour la replantation. Parallèlement à cela, la découverte de diamants dans le Transvaal en 1867 et d’or en 1886 va attiser les conflits dans cette zone du monde dont l’apogée sera la Guerre des Boers, de 1899 à 1902, qui entraînera une immigration massive britannique visant à écraser la majorité afrikaner d’alors. En 1909, on assiste à la naissance de l’Union sud-africaine, capitale Prétoria, où l’anglais et le néerlandais (remplacé par l’afrikaans en 1925) sont les deux langues officielles.
En 1913, une loi partage les terres entre Blancs et Noirs dans une proportion de… 93/7! Les années 1925-1933, sous la houlette de James B. Hertzog, chef de file du Parti National, vont être fastes pour les afrikaners avec l’élaboration de lois déterminant les zones urbaines réservées aux Blancs ou leur réservant l’accès à l’enseignement professionnel. Le même Parti National votera entre 1949 et 1955 toutes les lois régissant l’apartheid.

KWV

Dans le paysage peu florissant de l’Entre-deux-guerres, l’industrie du vin relève doucement la tête. L’outil majeur de cette renaissance sera la Coopérative des Vignerons d’Afrique du Sud, Ko-Operatieve Wijnbouwers Vereniging van Zuid-Afrika Beperkt, la KWV en abrégé. Créée en 1918 par Charles W. H. Kohler, elle a pour objectifs de diriger, contrôler et réguler la vente de la production de ses membres. Jusqu’il y a peu, nul ne pouvait produire de vin sans l’autorisation de la KWV qui fixe la production annuelle maximale de chaque vignoble ainsi que le prix minimal des “bons vins” et des vins de distillation. Le surplus devant par ailleurs être donné à la KWV qui dispose de ses propres unités de vinification et de distillation.

Indéniablement, la KWV apporta la stabilité dont avait alors besoin l’industrie viticole sud-africaine et la mena sur la voie de la prospérité. Après la Seconde guerre mondiale qui, contrairement à la Première, épargna l’Afrique du Sud, la viticulture va prendre un véritable envol favorisé par d’importants progrès techniques dans le domaine de la fermentation à froid et l’émergence des “flying winemakers”, ces vignerons et œnologues qui vont se former dans d’autres pays producteurs de vin durant les mois creux de l’année. Nous sommes ici dans l’Hémisphère Sud et les vendanges se font en février-mars et non en septembre…

L’apartheid va avoir un double impact sur la viticulture sud-africaine qui s’enlise largement: le boycott des produits sud-africains d’une part et le système de quarantaine d’autre part, qui empêcha le pays d’importer des boutures de qualité. Le Parti communiste est interdit en 1950 et l’ANC de Mandela commence sa longue lutte dès 1952, lutte qui culminera avec les émeutes noires de Sharpeville en 59-60 et la création en 61 de la branche armée de l’ANC qui valut à Mandela d’être classé sur la liste noire du terrorisme américain, même après sa libération en février 1990 après 28 ans de détention et de travaux forcés. Désormais héros de l’anti-apartheid, Nelson “Madiba” Mandela est élu en 1994 premier président noir d’Afrique du Sud. Il dirigera le pays jusqu’en 1999, date des premières élections non ségrégationnistes et décède en décembre 2013.

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Le vignoble sud-africain – © WOSA


Aujourd’hui

En 2015, l’industrie vinicole a été restructurée et le vignoble s’étendait sur 130.000 hectares (chiffres OIV, 2016), en léger retrait sur les trois dernières années. Il se répartit en 20 districts regroupés en cinq régions. La principale région de production est celle du Cap, avec les districts de Swartland, Tulbagh, Paarl, Stellenbosch, Cap Point (Constantia), Tygerberg (Durbanville) et Boberg, désignation réservée aux vins de liqueur produits à Paarl et Tulbagh. On compte environ 3330 exploitations vinicoles sur le territoire, qui se répartissent en 70 caves coopératives, dont la toujours puissante KWV, une centaine de domaines privés, négociants et producteurs-grossistes, avec une moyenne de trois hectares ou moins.

Quatre appellations sont organisées, de la plus étendue à la plus petite : les “Regions” (Coastal Region, Boberg region, Breed River Region, Orange River Region), les “Districts” (Stellenbosch, Paarl, Constantia, Durbanville, Worcester), les “Wards” (Franschhoek, Helderberg) et les “Estates” : comme en France, les propriétés sont au sommet des appellations sud-africaines.

Plus de la moitié (55%) du total des surfaces plantées en 2014 sont des cépages blancs, mais la part des rouges augmente régulièrement. Les cépages locaux sont présents dans deux tiers des vignobles, avec une forte présence du Steen – le nom local du Chenin (18% en 2015) et du Pinotage (7%). On retrouve également dans le pays du Cabernet sauvignon (12%), du Colombard (12%), de la Syrah (10%), du Sauvignon (8%) et du Merlot (7%).
L’Afrique du sud a été le 8e producteur mondial en 2015, selon l’OIV, avec 11,32 millions de litres produits, soit 4.33% de la production mondiale mais aussi le triple de sa consommation domestique. Plus de 40% sont exportés. En Belgique, les vins sud-africains représentent environ 4% du marché.

En Belgique, les principaux importateurs de vins sud-africains sont Kaapwijn De Leeuw et Rouseu, mais il y en a encore beaucoup d’autres, plus modestes. Une belle gamme à découvrir aussi chez Mig’s World Wines à Bruxelles, chaussée de Charleroi.

Article paru dans Essentielle VINO en mars 2017 sous ma signature.