Quel est l’impact du changement climatique sur la viticulture belge ? Dirk Rodriguez a INTERROGé une dizaine de viticulteurs du pays.
Lorsque nous avons pris connaissance début septembre des valeurs enregistrées par certains viticulteurs belges, nous sommes restés bouche bée. Nous avons notamment entendu parler d’un potentiel supérieur à 15,5° d’alcool pour le Solaris (top-7 des cépages les plus plantés) et d’un taux à peine inférieur pour le Rondo.
Nous avons jugé utile de demander à quelques viticulteurs et au centre de recherche pcfruit quelles étaient leurs conclusions et ce que cela pouvait signifier pour l’avenir de la viticulture belge.
À la question de savoir si les taux d’alcool étaient particulièrement élevés cette année, Sam Dehandschutter (Bruut) répond que c’était effectivement le cas, car les taux de sucre ont rapidement augmenté : facilement 0,5 % pour les raisins destinés aux vins mousseux et 0,5 % à 1,0 % pour les vins tranquilles. Nous parlons ici de cépages tels que le Pinot noir, Pinot blanc et Chardonnay qui ont enregistré des valeurs nettement plus élevées que la normale. Seul l’Auxerrois, qui a du mal à accumuler des sucres, n’a guère augmenté.
Judith Michel (Domaine Bellum Fagetum) a mesuré des teneurs en alcool élevées, mais celles-ci n’étaient pas sensiblement plus élevées qu’en 2023.
Au Domaine du Krayenberg, Laurent Demarque a surtout constaté une évolution plus rapide, qu’il a su maîtriser grâce à un travail en vert adéquat. Il a cependant observé une augmentation plus rapide que d’habitude du taux d’alcool des Muscaris. Le Bronner, qui mûrit tardivement, a été récolté à 11,2° alc., le taux le plus élevé jamais enregistré pour ce cépage au Krayenberg.
Servaas Blockeel (Lijsternest) a constaté une évolution similaire pour ses raisins. En moyenne, il a récolté cette année des raisins titrant environ 13 % d’alcool, alors que la teneur normale se situe entre 11,5 et 12 %.

Et qu’en est-il de l’acidité ?
Autre fait marquant : malgré la sécheresse estivale et les températures élevées, l’année a été marquée par des niveaux d’acidité relativement élevés, ce qui, dans le cas du Bruut, a donné un équilibre sucre/acidité intéressant.
C’est ce qui ressort également des données mesurées par pcfruit, où la responsable de la viticulture, l’ingénieure agricole Vicky Everaert, a enregistré fin septembre un pH de 2,88 pour le Souvignier gris, ce qui était trop acide pour être récolté. Il a donc été décidé d’attendre encore un mois. Mais en ce qui concerne l’accumulation de sucre, pcfruit a noté les valeurs les plus élevées depuis le début de ses observations (2017) : 95 Oechsle pour le Chardonnay et 96 Oechsle pour le Johanniter. Cela signifie un potentiel alcoolique autour de 13° (cf. tableau).

Mais quant à savoir si cela signifie que notre pays devient trop chaud pour certains cépages, les réponses sont moins univoques.
Laurent Demarque : « Ce n’est pas parce qu’on a eu 2025 qu’il faut oublier 2024 ou 2021. Je pense que nous devons surtout tenir compte de l’instabilité. »
Servaas Blockeel travaille principalement en complantation, ce qui signifie que ses vins donnent généralement une sorte de moyenne, mais il y a certainement un cas particulier parmi les cépages interspécifiques : il a mesuré jusqu’à 17 % d’alcool potentiel chez le Solaris !
Sam Dehandschutter pense qu’il ne faut pas se précipiter : il faut analyser cela sur une période de 5 à 10 ans. Au cours des années « chaudes » précédentes, les degrés d’alcool n’ont en effet pas augmenté aussi rapidement, mais les acides ont diminué beaucoup plus vite.

Cette année, il n’y a pas eu de problème, la balance était excellente. Vicky Everaerts partage cet avis : « En moyenne, sur plusieurs années, les teneurs en sucre enregistrées ne sont pas trop élevées. De nombreuses années présentent justement un déficit de maturité et de sucres. »
Va-t-on dès lors produire davantage de vin rouge ?
Cette évolution signifie-t-elle que le climat belge est bel et bien propice à la production de vin rouge, ce qui était auparavant remis en question ?
Laurent Demarque et Sam Dehandschutter restent tous deux prudents. Une hirondelle ne fait pas le printemps. Cette année, il est tout à fait possible de produire un excellent vin rouge, mais l’année dernière, c’était pratiquement impossible. Notre climat est instable, ce qui rend difficile, de miser dès maintenant sur le vin rouge.
Chez Bellum Fagetum, Judith Michel affirme qu’ils ne sont vraiment pas encore prêts pour le rouge. Servaas Blockeel reconnaît que le climat est instable, mais cela ne l’empêche pas de miser pleinement sur le rouge depuis 2015 : « Il faut simplement oser choisir les cépages qui conviennent à notre climat. »
Envisage-t-on désormais de planter des cépages que nous n’osions pas cultiver il y a dix ans ?
Sam Dehandschutter : « Si nous avons de telles conditions météorologiques trois années sur cinq, nous pouvons commencer à envisager le merlot, la syrah, le grenache et autres cépages similaires.»
Laurent Demarque ne se réjouit pas immédiatement à l’idée de cultiver des raisins noirs, mais il attend avec impatience la nouvelle génération de cépages interspécifiques, encore plus résistants à l’humidité qui menace toujours notre climat.
Servaas Blockeel : « Je ne planterais peut-être plus les cépages interspécifiques à maturation précoce, qui donnent désormais de meilleurs résultats au Danemark et en Pologne. Mais je préfère attendre encore cinq ans avant d’opter pour d’autres cépages. »
Et alors ?
Même si la tendance moyenne en matière de température et, par conséquent, de teneur en alcool est légèrement à la hausse chez nous, nous restons pour l’instant un pays au climat variable qui mise principalement sur les vins mousseux et les vins blancs tranquilles. Mais cela n’empêche pas de multiplier les initiatives pionnières en matière de vins rouges. Et en ce concerne 2025, ceux-ci pourraient bien s’avérer étonnamment savoureux.
Dirk Rodriguez
Photos ©Domaine du Krayenberg & ©Dirk Rodriguez
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