En apportant depuis 2023 de nouvelles offres de diversification aux agriculteurs de la région des Hauts-de-France (anciennement Nord-Pas-de-Calais), TERNOVEO a également relancé la viticulture dans des départements qui n’en connaissaient plus depuis plusieurs siècles. Aujourd’hui, 60 viticulteurs exploitent ±100ha de chardonnay.
« Implanté à Saint-Quentin dans le département de l’Aisne, le négoce TERNOVEO évolue dans un territoire marqué par une forte tradition agricole où il assure la collecte et la commercialisation de céréales ainsi que l’approvisionnement en agrofournitures (engrais, phytos, semences) pour ses clients agriculteurs. En complément, la structure propose à ses clients des services et solutions technologiques pour répondre aux enjeux environnementaux et sociétaux et les accompagner au quotidien dans l’évolution du modèle agricole. »
C’est précisément lors d’un de ses séminaires d’entreprise en 2018 que fut posée la question d’une culture d’avenir face au changement climatique dans la région. Contre toute attente, ce fut la viticulture qui émergea des débats. Un argument joua fortement en faveur de cette décision : FranceAgriMer venait en effet d’autoriser la plantation de manière intensive de vignes dans les deux départements des Hauts-de-France qui en étaient empêchés jusqu’alors.
« Quand on a vu que la Belgique et l’Angleterre avaient des vignes et pas nous, se rappellent Christophe Dubreucq et Julien Poulin, présents dans le projet depuis le début, on s’est dit qu’il fallait tenter le pari. Après des études techniques, économiques et financières, nous avons pris la décision fin 2019 de créer une filière. On savait qu’on ne savait pas grand-chose, il fallait donc tout découvrir, sans faire toutefois du copié-collé de ce qui se fait dans les autres vignobles de France. On voulait élaborer des vins tranquilles, pas des effervescents comme en Belgique ou en Champagne, et partir d’un cépage connu, qui s’adapte partout. Produire, c’est bien, mais commercialiser c’est mieux, et la notoriété du cépage fait partie du business marketing.
Nous avons alors sondé les agriculteurs qui travaillaient déjà avec Ternoveo pour savoir s’ils souhaitaient entrer dans un projet où ils cultiveraient la vigne dont nous achèterions la récolte pour en faire du vin. Sachant que dans ce projet, on n’abandonne jamais les agriculteurs, qu’on est là pour les guider dans la plantation, dans le traitement, la taille de formation et la taille de production. Le but étant d’avoir un produit qualitatif qui arrive à la cuverie. »
Un chai évolutif
Ternoveo possédant un vaste bâtiment de 3300m2 – une ancienne sucrerie fermée vers 1988 et utilisée pour le stockage des céréales – à Dompierre-Becquincourt, celui-ci fut choisi comme siège de cette nouvelle filière alors qu’aucun pied de vigne n’avait encore été planté.
« Nous sommes, reprend Guillermo Arancibia, l’œnologue du projet, entre Saint Omer et Laon au centre d’un territoire assez large et si nous sommes positionnés à Dompierre, c’est aussi parce que cela nous appartenait. Cela permet de réduire les investissements et de réhabiliter la sucrerie en conservant à peu près son âme. Nous sommes ici au centre d’une toile d’araignée du vignoble qui, de haut en bas, fait 250km. De tous les points, nous avons le même temps de trajet, soit 2,5 heures max depuis le point le plus éloigné. Nous sommes aussi ici à 5 minutes de l’autoroute, et toutes nos parcelles sont à 10 à 15 minutes maximum d’un accès d’autoroute, cela permet de gagner du temps sur les trajets.
En 2020, 17 premiers hectares ont été plantés, 26,5 l’année suivante, et encore 34,5 en 2022. Nous avons un peu freiné en 2023 en ne plantant que 5 hectares. Nous allons continuer par tranches de 5ha, pour voir comment cela évolue, c’est beau de produire mais il faut aussi vendre derrière. En 2023, nous avons produit 50.000 bouteilles et nous pensons en sortir 200.000 cette année (500.000 en 2025 ?), il faut donc adapter la stratégie.
Ce bâtiment est idéal, car ses dimensions permettront, à terme, une production de 200 hectares, ce qui, avec un rendement entre 8 et 10 tonnes à l’hectare, permet de produire l’équivalent de 12.000hl, soit environ un million de bouteilles. »
A noter que chaque parcelle est vinifiée séparément avant d’être assemblée en bout de chaîne. A ce stade, les viticulteurs ne peuvent prétendre à leur propre vin, seulement celui du collectif.
Pour l’heure, seul le quart du volume intérieur du bâtiment a été cloisonné pour aménager la cuverie et un chai à barriques : « Nous construisons au fur et à mesure de nos productions. Nous avons récolté 17ha la première année, 26.5 de plus la seconde et tout s’est fait dans la partie actuelle. A partir de cette année, nous allons faire une extension par l’arrière, puis sur les côtés. On le fait pas à pas, c’est bien pour le produit, mais il faut surtout vendre derrière. Prochainement, 3000 hl de cuves vont arriver, cela nous donnera une capacité de 5500 hl. »

Cépage unique
Alors que ses voisins du Nord – nous, les petits Belges – optent soit pour la production d’effervescents, soit pour les cépages résistants, Ternoveo a opté pour un cépage classique et unique, le Chardonnay, et un vin tranquille décliné en trois qualités… « Nous avons aussi planté d’autres cépages, reconnaît Christophe Dubreucq, pour voir comment ils s’habitueraient à la région et voir si leur qualité serait au rendez-vous lors des essais de vinification des trois premières années, avant de les conseiller à nos viticulteurs. Nous avons aussi fait des tests avec des variétés résistantes françaises – le Voltis et le Floréal, mais en 2023 , cela ne donnait pas grand-chose, mais il faut souligner que c’était une année difficile. A voir cette année, on n’est pas fermés. »
Faire du vin quand on n’y connaît rien n’est forcément pas simple, voire audacieux. « Dans ce cas, il faut bien se faire entourer, souligne Christophe, prendre des personnes avec des connaissances et un savoir-faire acquis depuis un certain temps. Notre conseiller viti-oeno (le cabinet Vinelyss) vient de Champagne, il connaît bien le chardonnay. Nos pieds de vignes viennent de la pépinière Guillaume qui nous a suivis pendant la plantation. C’est un nouveau métier pour les viticulteurs, mais on ne les abandonne pas. Julien Poulin est responsable du vignoble, il est toujours en contact avec eux, il est aussi toujours présent dans les formations et les séminaires avec eux. Cette année, on passe les 78ha en récolte, il va falloir que l’on commence à anticiper. »
Les premières difficultés ont ainsi pu être évitées. « On pensait que les Saints de Glace pouvaient nous prendre en traître, mais on a échappé à cela. Il y a eu beaucoup de gel en 2023, dans le Grand Est et en Champagne, mais pas chez nous. Nos parcelles sont réparties sur quatre départements et elles ne sont jamais côte à côte, c’est aussi une protection contre la propagation des maladies. Même s’il pleut beaucoup, il y a toujours du vent pour sécher les vignes, le champignon n’a pas le temps de s’installer. En plus, on a des températures fraîches que les champignons n’aiment pas non plus. »
Vers une viticulture bio ?
Chez Les130, le bio n’est pas (encore totalement) à l’ordre du jour, mais les parcelles sont certifiées HVE. L’enherbement des rangs permet de lutter contre l’érosion des sols, favorise l’humidification et la nutrition de la terre tout en offrant un refuge à l’ensemble des organismes vivants. Près de 500m² de panneaux solaires ont été installés sur la façade de l’ancienne sucrerie, permettant ainsi de produire 79.000kWh sur une année.
Pour développer encore davantage ses pratiques respectueuses de l’environnement, Les130 a acquis en 2021 un équipement UV Boosting qui bombarde, tous les 11 jours à certaines périodes, les vignes d’UV-C pour stimuler leurs défenses naturelles et les protéger contre les maladies, le gel ou la sécheresse. Grâce à ce procédé très innovant, les UV-C sont pris comme une agression par la plante qui met ses défenses naturelles en éveil et rentre en résistance.
« C’est une vraie alternative aux produits phytosanitaires, argumente Christophe. Comme nous l’avons déjà souligné, aucune parcelle à droite et à gauche d’une autre, donc pas de propagation de maladies. De plus, nos terres étant vierges de vignes, elles n’ont pas d’historique de contaminations, nos protections peuvent donc être réduites. Le système UV-C représente un investissement important, mais il permet de faire face. Il y a quelques années, il n’y avait que quatre appareils de ce type en France, aujourd’hui, il y en a 80… On part de rien, mais on a déjà appris. »

Les premiers vins
Si Ternoveo n’a pas encore assez de recul pour définir les parcelles les plus qualitatives, celles-ci permettent déjà d’obtenir un vin homogène sur les premiers millésimes. « Avec Julien, précise l’œnologue-maître de chai, on détermine la date des vendanges et en fonction de sa qualité, nous définissons un itinéraire technique pour obtenir la cuvée, le but étant de tout gérer avec la température, en essayant d’éviter les arrêts fermentaires. Mon boulot est de garantir qu’on ne change pas les caractéristiques de nos produits, d’année en année. Rester adéquat, il y aura un effet millésime mais lea matrice même ne change pas, l’essence même du produit est conservée. »
L’achat des raisins par la SAS Chai des Hauts de France représente une rentrée potentielle pour les vignerons de 10 à 12.000 euros, avec la vision future de revalorisation possible selon les qualités à la parcelle.
Trois cuvées sont actuellement produites, les deux premières étant déjà proposées à la vente.
Il y a tout d’abord Azimute (12,30€), un vin léger et fruité, parfait pour l’été qui s’annonce. Doté d’une légère perlance apportant une dimension festive et de notes d’agrumes, sa persistance aromatique n’est pas très longue, mais il y a une belle tension et une jolie fraîcheur.
Parallèle 50 ensuite (15,00€), un vin légèrement boisé, moins expressif au nez, mais plus complexe avec quelques notes d’abricot. Très gras et rond en bouche, il se mariera avec les fromages de la région ou un poisson en sauce blanche. Zenith (19,90€) est davantage boisé et bénéficie d’un élevage plus long qui apporte quelques notes d’évolution et un peu plus de tanins. Il sera parfait sur des viandes blanches ou une belle pièce de gibier…Enfin, Ch’typik (9,90€), un 100% chardo que je n’ai pas eu l’occasion de déguster.
Vendus essentiellement en Horeca et sur place, les trois premiers vins ci-dessus tiennent parfaitement la route et sont de bon augure pour l’avenir. Soulignons pour terminer qu’ils sont aussi le résultat du travail de la Belge Laetitia Vankerkoven qui a réalisé trois vendanges aux 130 avec Guillermo et suivi l’implantation de la cave.
> L’adresse : 28 rue de Chuignes à Dompierre-Becquincourt (80980). Horaires d’ouverture du chai : du lundi au vendredi de 14h00 à 17h30. Visites : du lundi au vendredi de 14h00 à 15h30 (départ de la visite à 14h15) • Les mercredis et samedis – visites ouvertes aux groupes (min 10 pers.) sur réservation obligatoire par e-mail à info@les130.com ou par tél. : +33 07 70 22 24 25.
Infos : les130.com
Marc Vanel, 05/05/2025 (1re publication en mai 2024 dans Le Sillon belge)