Comment redonner envie aux Belges de consommer des vins de Bordeaux dont ils se délaissent depuis plusieurs années ? Fraîchement élu à la présidence du Conseil interprofessionnel du Vin de Bordeaux, Allan Sichel dresse pour nous les grands défis de Bordeaux.

Bordeaux a toujours occupé une place importante dans le cœur des amateurs de vin, avec ses défenseurs acharnés et ses détracteurs. Il fut une époque, celle de nos parents ou grands-parents, où l’on était « Bourgogne » ou « Bordeaux ». En dehors de cela, point de salut. La mondialisation est passée par là et depuis une vingtaine d’années, le consommateur a préféré se tourner vers des vins espagnols ou italiens dans un premier temps, puis surtout australiens, chiliens ou sud-africains. Des vins prêts à boire, à moindre prix, qui souvent utilisaient les mêmes cépages, Cabernet et Merlot, que les vins bordelais.

Entretemps, le prix des grands Crus de Bordeaux s’est envolé et, même s’ils ne représentent que 3 % de l’offre bordelaise, ils entretiennent une confusion dans l’esprit du consommateur. Ces grands crus classés qui jouent légitimement dans la cour de l’industrie des produits de luxe véhiculent une image un peu snob et parfois arrogante qui porte préjudice aux dizaines de milliers de producteurs qui commercialisent de magnifiques vins à des prix plus que raisonnables. Moralité, une baisse de 29% des ventes en volume ces dix dernières années, mais une baisse qui s’explique aussi par des millésimes difficiles, surtout 2013, dont la qualité n’a pas séduit le consommateur.

Allan Sichel, nouveau président du CIVB qui succède à Bernard Farges

Allan Sichel, nouveau président du CIVB qui succède à Bernard Farges.

Limiter les pesticides

Pour contrer cette tendance à la baisse, le Conseil interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB) a revu sa stratégie de reconquête en Europe, mais surtout en Angleterre, en Allemagne et en Belgique. Pour Allan Sichel, président du CIVB qui vient de succéder à Bernard Farges, les constats sont assez clairs, « les vins de Bordeaux ont une image trop compliquée, une image de vins chers et, de manière plus générale, un manque de lisibilité. Nous devons rendre nos vins plus attractifs et séduisants, plus fun, et redonner envie au consommateur en leur montrant qu’il existe une gamme d’excellents vins entre 8 et 15 euros. Nous sommes fiers de nos grands crus classés, mais ceux-ci ne représentent que 3% de notre production, ils ne sont pas représentatifs de notre cœur de gamme. »

De même, s’il fut une époque où l’on trouvait chez nous des bordeaux à 4 euros (c-à-d. à 2 ou 3 euros en France), ce temps est aujourd’hui révolu. « Nous avons mis en place des outils, explique le président, pour réguler l’offre et la demande et ne plus avoir des volumes trop importants qui amènent à ces extrémités. Depuis une dizaine d’années, le CIVB a aussi mis en place des outils pour améliorer la qualité des vins bordelais. Aujourd’hui, 45% de nos vignerons sont engagés dans une démarche de développement durable, tous labels confondus, ce qui représente une surface de 15000 hectares environ. En juillet dernier, nous avons mis en place une Charte pour encourager les vignerons à limiter au mieux l’usage des pesticides, à investir dans du matériel plus performant et à respecter les arrêtés préfectoraux limitant les épandages de produits à proximité des sites les plus sensibles – écoles, homes, hôpitaux. »

Cela ne signifie pas pour autant que le vignoble bordelais s’est converti au bio ou à la biodynamie, mais pour Allan Sichel, « le bio est la solution, mais ce n’est pas facile à appliquer chez nous. Je suis toutefois admiratif de ceux qui se lancent, car ils nous poussent au questionnement et nous engagent à la réflexion. »

Plus de lisibilité

Traditionnellement attaché aux vins de Bordeaux, le marché belge est aussi un marché sensible aux prix. Et le fait d’avoir écarté les vins les moins a aussi entraîné une baisse de la consommation. « Nous devons, poursuit le nouveau président, nous recentrer sur ce que j’appelle l’ADN de Bordeaux, les vins entre 8 et 15 euros et valoriser ceux-ci. Mais avec 65 appellations, le consommateur a quelque difficulté à faire son choix. Comment l’aider à s’y retrouver devant une vaste gamme entre 4 et 20 euros, tous pays d’origine confondus. Nous devons, je pense, trouver une dénomination transversale qui tienne compte du niveau de qualité des produits. Mais comment classer les vins de 8 à 15 euros qui représentent environ 20% des volumes en contentant tous nos 6460 producteurs et 300 maisons de négoce ? »

"Eat Brussels, Drink Bordeaux", un des fers de lance de Bordeaux pour reconquérir le marché belge.

“Eat Brussels, Drink Bordeaux”, un des fers de lance de Bordeaux pour reconquérir le marché belge.

Développer l’œnotourisme

L’ouverture récente de la Cité du Vin à Bordeaux contribuera certainement à ce renouveau et va véritablement booster l’œnotourisme local encore relativement pauvre. « Nous avons des progrès à faire, surtout quand on voit les exemples étrangers, poursuit A. Sichel, il faut développer tout ce qui tourne autour du vin et d’un château : gîte, chambre d’hôtes, site web, vente directe mais aussi créer des Routes du Vin. Mais nous ne devons pas faire cela de façon bancale, la restauration, c’est un métier à part entière qui demande aussi des investissements. »

Le CIVB en chiffres: Avec un budget de 37 millions d’euros, dont l’essentiel est consacré à la promotion de ses vins dans le monde, le CIVB rassemble des représentants des trois branches de la filière bordelaise : la viticulture (6460 récoltants, 34 caves coopératives et 4 unions), le négoce (300 maisons qui gèrent 2/3 de la commercialisation) et le courtage (84 courtiers). Le vignoble bordelais couvre 111.000 hectares et un quart des appellations françaises.

Article paru ce samedi 24 septembre 2016 dans la Libre Belgique (page de Baudouin Havaux)