De la pose de bougies à l’hélicoptère, diverses méthodes existent, mais cela coûte parfois très cher. Le point avec Vincent Dienst, bioingénieur et œnologue, appuyé par le témoignage de plusieurs vignerons.

En ces premiers jours d’avril, les bourgeons de la vigne sont généralement encore dans un « coton » brunâtre (aussi appelé « bourre ») que la jeune pousse va percer lors du « débourrement », c’est le stade de « pointe verte ». « Pour l’instant, explique Vincent Dienst qui intervient dans plusieurs propriétés en Wallonie, dans la plupart des vignobles belges, les bourgeons sont soit au stade gonflement, soit dans le coton, et donc protégés. Mais il se peut que certains cépages très précoces soient déjà au stade pointe verte. »

Il n’y a donc pas encore d’urgence, surtout que les températures vont monter dans les prochains jours (nous sommes le 2 avril). Quelles sont les techniques de protection? Plusieurs options sont possibles, comme le placement d’une tour antigel, l’installation temporaire ou fixe d’un canon à chaleur ou l’aspersion d’eau, ou enfin, il est possible de brûler des ballots de foin pour créer un écran de fumée contre le gel.

Bougies

« Comme technique de lutte contre le gel, explique l’œnologue, une protection ponctuelle est de placer des bougies dans la vigne. Mais cela coûte très cher : ±8€ par bougie et il faut en placer 400 à l’hectare ! En outre, elles ne tiennent que 8h chacune et il faut les remplacer et les enlever après la période de gel. Cette technique devient très coûteuse avec des années de gel à répétition comme on peut en avoir en Belgique. Donc les vignerons se tournent vers d’autres options avec un coût d’investissement plus élevé au départ, mais moins coûteuses à l’utilisation. »

Tours anti-gel

Chez Ruffus, « pour les gelées, explique John Leroy, nous avons opté pour des tours anti gel brasseuses d’air. Il y a deux ans, nous en avions installé une première et nous avons pu quantifier son impact l’année dernière sur une gelée tardive début mai. Sur des gelées de -1° à -3°, dans nos conditions topographiques, la protection contre les gelées printanières est surprenante. Nous venons d’installer 2 nouvelles tours et protégeons maintenant grâce à cela tous nos bas de coteaux qui sont plus sensibles au gel. Les investissements sont conséquents, mais c’est le moyen le plus approprié dans notre situation. »

Non loin de là, au Domaine du Chant d’Eole, même si des éoliennes sont présentes dans le vignoble, « les gelées tardives, reconnaît Hubert Ewbank, causent beaucoup de dégâts dans nos vignes. En 2017, nous avons perdu plus de 30% de notre production suite au gel tardif. Ces pertes nous ont amenés à trouver un moyen de prévention pour ne plus être impuissant face à la météo. Nous avons donc étudié la faisabilité d’installer des tours antigel. Celles-ci ont été placées la semaine dernière. Chaque tour protège environ 5,5 hectares et se déclenche automatiquement en fonction des températures. L’air est brassé de haut en bas et relève ainsi la température ambiante de quelques degrés. Avec cette solution, nous pourrons préserver la vigne des dégâts du gel et garantir une production maximale! »

Le vignoble du Château de Bioul est lui aussi protégé en partie « par une tour anti-gel, précise Vanessa Wyckmans, mais elle ne couvre que ±3 hectares, et nous avons des bougies et des feux pour le reste. Nous espérons nous en servir le moins possible… » (photo du haut: la parcelle de Mossiat au Château de Bioul).

L’achat de tel matériel représente un investissement entre 35 et 60.000 euros selon les modèles, il faut évidemment pouvoir l’amortir.

Plus d’infos sur le site de DD-LocaServices.

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Tour vendue par DD-LocaService

Canons à chaleur

Le Domaine du Château de Bousval, où travaille Vincent Dienst, a quant à lui opté pour un canon à chaleur vendu par Agrofrost, plus grand producteur de machines de protection contre le gel. « Il s’agit de canons à chaleur, soit portables, soit fixes. C’est un brûleur qui brûle du gaz, et l’air chaud est propulsé dans la vigne via un ventilateur. Ce système est utilisé à Bousval, mais il est en test au Domaine W, ainsi qu’à Nouvelles. »

« Oui, mais pas uniquement, déclarent Dimitri Vander Eyden et Sophie Wautier au Domaine W, car si chez nous, c’est bougies et canon à chaleur Agrofrost, c’est aussi coupe rase de l’herbe, liage le plus tardif possible, taille des sarments plus longue pour pouvoir sacrifier les derniers bourgeons (acrotonie), et pulvérisation de valériane. »
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Canon à chaleur vendu par Agrofrost

Même écho chez Laurianne Lejour au Vignoble de Nouvelles: « Pour le moment, nous utilisons toutes les mesures prophylactiques qui existent. Nous tondons l’herbe et enlevons les cache-plants qui hébergent l’humidité et nous avons terminé de tailler tout en laissant des sarments les plus longs possibles. Ils ne seront recoupés qu’après les saints de glace.

Comme cela ne suffira peut-être pas, nous nous sommes équipés. Etant proches du village de Nouvelles, nous avons cherché la solution la plus discrète possible et avons choisi d’ajouter des souffleurs d’air chaud au cœur des vignes. Ils seront complétés de bougies de cire biodégradable sur le pourtour des parcelles. Des confrères wallons, de Sancerre et de Champagne qui utilisent cette solution, nous ont donné des conseils et des astuces. Toutefois, j’espère que nous n’aurons pas à les mettre en pratique!”

Au domaine Septem Triones, Jean Galler annonce avoir placé « des ventilateurs afin de ne plus devoir allumer de feux lors de gelées. Ces ventilateurs nous serviront également après la pluie afin de sécher les vignes. Nous aurons notre mistral à nous et sur commande en plus. »

Hélicoptère et aspersion

La technique a été utilisée déjà au Domaine du Ry d’Argent il y a quelque temps par Jean-François Baele, mais elle est onéreuse. Un hélico survole le vignoble et rabat l’air chaud en altitude vers le vignoble pour gagner 3 à 4,5°C. Mais les nuisances sonores sont indéniables et les autorisations de vol peuvent arriver trop tard. Le coût, relevé sur un site français, tourne autour de 7500€ pour 25ha et 900€ pour une matinée de protection…

Enfin, une autre technique consiste à pulvériser de l’eau sur la vigne afin que se forme un cocon de glace autour du bourgeon qui sera ainsi maintenu au point de congélation au lieu de le laisser plonger trop loin en dessous. « Mais c’est très consommateur en eau, note Vincent, car il faut continuellement asperger de l’eau. A réserver uniquement si l’on dispose d’un point d’eau à proximité avec débit suffisant.»

Le système est utilisé notamment chez Philippe Drouhin à Bougros, vignoble Grand Cru à Chablis, qui a envoyé ces belles photos à la presse.

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©Drouhin
Le bourgeon au coeur d’une protection de glace

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Après le gel

Et si malgré ces précautions, la vigne accuse des dégâts suite au gel ? « Si un cépage est gelé, conclut Vincent Dienst, les pertes peuvent être relativement importantes, voire totales. Mais certains cépages ont des bourgeons de réserve qui peuvent ressortir plus tard et assurer malgré tout une récolte, même si réduite.

Dans les cépages traditionnels, c’est le cas du Pinot Gris ou du Meunier par exemple. Je connais moins les interspécifiques. L’époque de débourrement est aussi un critère de choix important du cépage en Belgique. Les cépages qui débourrent plus tard auront plus de chances contre le gel. Après un gel printanier, les pieds ne meurent pas et il y a toujours d’autres bourgeons qui repartent mais pas nécessairement au bon endroit et ils ne sont pas toujours fructifères. Il faut donc faire une bonne sélection des bourgeons soit qui portent des fruits, ou ceux qui pourront être utiles pour la taille de l’année prochaine. »

Plus d’infos :

  • Site de l’INRA : ICI.
  • Brochure sur le gel printanier éditée par les Chambres d’Agriculture françaises : ICI.
  • Fiches de l’Institut français de la Vigne et du Vin – Occitanie: ICI

Marc Vanel, 02/04/20