Le 1er novembre 2015, le Gouvernement fédéral belge annonçait une hausse des accises sur les vins et spiritueux de 30 et 40% alors que celles-ci avaient pourtant déjà augmenté deux fois en 2013. Dix mois plus tard, force est de constater que les rentrées fiscales prévues sont bien en-deçà des prévisions et que le consommateur a déplacé ses achats à l’étranger. Stop ou encore ?

Depuis 2013, les accises ont augmenté en Belgique de 71% sur les boissons spiritueuses, de 59% sur le vin mais seulement de 17% sur la bière, un secteur plutôt épargné qui représente 44,7% de la consommation d’alcool mais qui ne paie toutefois que 28% de l’ensemble des accises. En 2015, dans le cadre des mesures du tax shift, le Gouvernement fédéral annonçait son intention d’augmenter les accises sur les alcools forts, avançant des arguments à la fois budgétaires et de santé publique. Depuis le 1er novembre de l’an dernier, les accises sont donc en Belgique de 0,75€ htva sur le litre de vin tranquille, de 2,56€ sur les vins effervescents (de plus de 8.5% vol.) et de 29.92€ sur le litre d’alcool pur.

Pour Geert van Lerberghe, directeur de Vinum Et Spiritus (V&S), la fédération des entreprises belges “actives dans la production, l’embouteillage, l’importation et la distribution des vins et spiritueux”, cette “taxe est injuste”, et “manque d’objectivité”, car, soutient-il, “un verre de bière de 25 cl, un verre de vin de 10 cl et un verre d’une boisson spiritueuse de 3 cl contient chacun une même quantité d’alcool pur, à savoir 10g” et qu’il “n’y a aucune raison objective de taxer différemment ces 10 g d’alcool.” Si l’on examine la part des taxes (accises, tva et recyclage) dans une boisson alcoolisée, celle-ci constitue 70% du prix d’une bouteille d’alcool et 30% d’une bouteille de vin, une disproportion manifeste.

Passer la frontière

Outre cette iniquité, V&S relève que l’augmentation des accises a surtout entraîné une hausse de prix de 20% sur les boissons spiritueuses qui a incité le consommateur à se fournir à l’étranger. Au Luxembourg, le nombre total de litres d’alcools vendus depuis le début de l’année serait en hausse de 36%. En France, la croissance des ventes d’alcools dans le nord de la France serait le double des autres régions. Chez Auchan,  bien implantée dans le nord de la France, Xavier Leclercq, responsable des “offres, achats, métiers et sourcing” du département Vins, reconnaît toutefois que l’impact sur les ventes est difficile à estimer, car la hausse des accises est “passée à un mauvais moment, juste après les attentats de novembre, dans une conjoncture globale difficile” mais admet une hausse de 10 à 15% de ses ventes d’alcools dans les magasins implantés le long de la frontière franco-belge, surtout sur le whisky.

A titre de comparaison, une même bouteille de gin coûte 14.59€ au Luxembourg, 21.23€ en France et 25.28€ chez nous. Pas étonnant dès lors que certains restaurateurs n’hésitent pas à aller faire le plein (et pas d’essence) Outre-Quiévrain ou au Grand-duché. Mais si les Belges achètent désormais davantage à l’étranger, ils le font donc moins en Belgique. Toujours selon V&S, “les producteurs belges de boissons spiritueuses ont vendu 33 % en moins depuis 10 mois” et “dans le secteur du détail, les ventes de boissons spiritueuses ont chuté de 14 %. De même, les PME n’investissent plus et certains emplois sont de plus en plus menacés.”

Qu’est-ce que l’accise ?
L’accise est une taxe dont le principe est régi par la Directive 2008/118/CE du Conseil européen du 16 décembre 2008, qui définit les catégories de produits qui y sont soumis : les huiles minérales, les tabacs manufacturés et les boissons alcoolisées. Cette dernière catégorie est composée des sous-catégories “bière”, “vin”, “boissons fermentées autres que la bière et que le vin” (le cidre par exemple) ainsi que les produits intermédiaires (les vins enrichis en alcool, vins doux, etc.) et “alcool éthylique”, c’est-à-dire les boissons spiritueuses.
L’accise varie en fonction des types de boissons et selon le degré d’alcool de celles-ci, elle est due soit au moment de la production de ces produits, soit au moment de leur importation. Cette Directive a été transposée en droit belge et publiée au Moniteur sous le nom de “Loi du 22 décembre 2009 relative au régime général d’accise” et est entrée en vigueur le 1er avril 2010. Il ne s’agit pas de la première réglementation en la matière, les textes “fondateurs” remontent en effet aux années 1930 et la hausse la plus importante date de 1976.
Notre pays connaît un régime particulier, car les accises sur les vins tranquilles sont inexistantes dans 14 pays de l’Union européenne dont l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, le Luxembourg, ou l’Autriche. En France, elles ne sont guère  élevées, puisqu’elles sont 0,038 €/litre de vin, soit 20 fois moindres que chez nous. Les montants les plus élevés sont au Royaume-Uni (3,77 €), en Finlande (3,39 €), en Suède (2,68 €), la palme revenant à l’Irlande avec une accise de 3,7 €. Cette taxe est donc généralement égale ou proche de zéro dans les grands pays producteurs de vin tandis que les plus élevées se retrouvent dans les pays où la production est la moins développée.

Recettes irréalisables

Si le Gouvernement fédéral misait sur des rentrées fiscales supplémentaires, force est de constater que c’est loin d’être le cas. Bien au contraire. V&S a étudié les chiffres mensuels cumulés des recettes fiscales publiées sur  le site du SPF Finances et évalue que, sur le premier semestre, “seuls 40 millions de recettes supplémentaires ont été générés par les revenus des accises entre janvier et juin, ce qui est bien en-deçà des 69 millions budgétisés. Dans le même temps, la diminution des ventes a entraîné une diminution de 34 millions d’euros de recettes TVA par rapport à l’an dernier. Les prévisions de 220 millions d’euros supplémentaires pour toute l’année 2016 sont donc, estime-t-il, irréalisables avec l’architecture actuelle des accises, mais, plus grave, pour une recette nette de 6 millions d’euros sur les 6 premiers mois, le gouvernement met en danger le caractère durable de la contribution de notre secteur à l’économie belge et à l’Etat et contribue à l’inflation”.
Comment sortir de cet imbroglio ? Tout d’abord, estime V&S, “il faut revenir à la situation d’avant novembre 2015, revoir le système même de l’accise et envisager une autre répartition selon le type de boissons alcoolisées.” En clair, il faudrait baisser les accises sur l’alcool, les maintenir plus ou moins sur le vin, mais surtout augmenter celles sur la bière dont le secteur pourrait facilement absorber une légère hausse d’accises grâce à ses volumes importants. Des négociations du secteur (qui génère près de 1200 emplois directs et 35000 emplois indirects) avec les ministres compétents sont prévues durant ce mois de septembre et devraient déboucher sur une modification du système en vigueur, mais difficile pour le Gouvernement d’admettre que sa mesure n’était pas judicieuse, surtout en période de négociation budgétaire.

“Une diminution des accises de 40% devrait pourtant, conclut V&S, inciter le consommateur à ‘revenir’ en Belgique et, pourquoi pas, à consommer davantage de spiritueux belges. Selon Euromonitor, seuls 35% des spiritueux produits en Belgique y sont consommés. Il est donc également temps de promouvoir nos produits et de valoriser nos 45 distilleries, 85 vignerons et nos 10 embouteilleurs indépendants. Ce secteur représente une valeur ajoutée de 2,6 milliards d’euros pour l’économie belge et occupe près de 3500 personnes, une importance économique qu’il ne faut pas négliger”.

Marc Vanel – article publié en septembre 2016 mais toujours d’actualité…