Quinze ans après leur promulgation, les appellations viticoles wallonnes devaient être adaptées aux réalités du terrain. Le travail conjoint de l’Association des Vignerons de Wallonie et de la Région wallonne est presque terminé… Entretien avec Pierre Rion.

Au début des années 2000, la viticulture en Wallonie était encore balbutiante. Certains “folkloristes” s’y essayaient certes depuis la fin des années 60, mais avec des degrés de succès divers. Ils ont été suivis dans les années 90 par des pionniers tels que le trio du domaine de Mellemont, Guy Durieux et quelques personnages hauts en couleur du côté de Huy avant d’être rattrapés (mais pas écrasés) par de véritables professionnels.

L’émergence de Ruffus en 2002-2003 et celle du Domaine du Chenoy quasiment en même temps ont donné l’envie et l’audace à toute une série de jeunes vignerons de se lancer dans l’aventure, tout en la professionnalisant. Le Domaine du Ry d’Argent, le domaine du Château de Bioul ou Vin de Liège en sont les plus éclatantes réussites, même si d’autres ont autant de mérite, mais à plus petite échelle.

Aujourd’hui, une nouvelle étape se joue avec l’arrivée sur le marché de “grandes familles” qui se donnent les moyens et qui, pour citer Pierre Rion, président des Vignerons wallons, “ont un effet d’entraînement vertueux”. On pense notamment à la famille Ewbank de Wespin au Chant d’Eole, à la famille de Mévius au domaine de la Falize à Rhisnes, à Michel Verhaeghe de Naeyer au château de Bousval, à Jean Galler au domaine Septem Triones ou tout prochainement au Prince Amaury de Mérode qui considère planter dans les environs de Bioul.

Tous font, ou vont faire, des bouteilles en petite quantité, mais à un prix plus qu’honorable: jusqu’à 60 ou 80 euros dans certains cas. “Certainement, fait remarquer Pierre Rion, mais souvenez-vous de l’arrivée du chocolat en Europe: celui-ci était consommé comme produit de luxe dans les cours des grands de ce monde, son succès lui a permis de se démocratiser. Si aujourd’hui certains arrivent à vendre leurs bouteilles à 40 euros, c’est que le vin wallon peut être considéré comme un produit haut de gamme et que, par conséquent, d’autres, moins chers, sont de belle facture…”

Vue vers Huy et sur la Meuse depuis le vignoble de Jacques Mouton

Huy au coeur de la renaissance de la viticulture dans les années 60

Réglementation

Après ce détour conjoncturel, revenons à nos appellations. La Flandre, qui avait une longueur d’avance dans le redéploiement de la vigne, a sorti deux appellations en 1997 et 2000 alors que la viticulture wallonne se trémoussait à peine. En 2004, à l’instigation de José Happart, alors ministre wallon de l’Agriculture, et de la Fédération belge des Vins et Spiritueux, deux appellations sortent de terre: l’AOC Côtes de Sambre et Meuse et l’IGP Vin de pays des Jardins de Wallonie. La première est plus sélective quant aux cépages autorisés et à l’origine des raisins, la seconde permet de produire des vins un peu partout en Wallonie.

Ces deux textes seront suivis en 2008 de deux autres: une pour le Crémant de Wallonie (avec seulement 4 cépages autorisés et l’obligation de vendange manuelle) et une pour le Vin mousseux de qualité.

Modifications

Si l’on passe en revue les changements de ces dix dernières années dans le vignoble wallon, on constate que ces textes sont un peu dépassés et qu’ils devaient être mis au goût du jour. Un groupe de travail constitué de représentants de l’Association des Vignerons de Wallonie (AVW) et du Service public de Wallonie a organisé durant ces trois dernières années diverses réunions qui ont permis de redessiner les cahiers de charges des appellations. Aujourd’hui à la relecture finale, ils vont être présentés une dernière fois aux membres de l’AVW avant d’être soumis à consultation publique (via un avis publié au Moniteur) et à diverses autres étapes avant d’être définitivement approuvés au niveau wallon, mais aussi européen, disons pour rester optimiste, dans moins d’un an.

Dans l’attente de la présentation de la totalité des changements proposés, nous avons demandé à Pierre Rion de nous rappeler les attentes des vignerons.

“Nous avons demandé plusieurs choses à la Région: l’élargissement de la liste des cépages autorisés, une simplification de nom de l’appellation Vin de Pays des Jardins de Wallonie mais surtout la lisibilité de l’origine des raisins contenus dans la bouteille. Si des vins sont élaborés chez nous avec des raisins qui viennent de l’étranger, il ne peut s’agir que d’un “vin de la Communauté européenne”. Il faut être clairs: lorsqu’un vin comporte sur son étiquette une des quatre appellations, c’est qu’il est bien de chez nous à tous points de vue, à défaut, un doute peut subsister. Pas question de sortir un vin des Ardennes, un vin de la Meuse ou d’une autre origine non protégée. Enfin, nous avons demandé que soit introduite une notion de rendement par pied en plus de celle à l’hectare, et une éventuelle dérogation pour dépasser ces quotas dans les années généreuses en quantité et qualité, comme en 2018 par exemple. Et il semble d’ailleurs que les quantités 2019 pourraient être proches de celle de 2018. J’ai hâte de découvrir le texte final.”

Toutefois, pour qu’il y ait vote de ces appellations, il faut bien sûr que la Wallonie se dote d’un Gouvernement. Espérons en outre que le futur ministre en charge de l’agriculture soit aussi persuadé que René Collin, ministre sortant, de l’intérêt de soutenir une activité qui a de belles retombées économiques et constitue un futur éco-système: pas uniquement dans le vin, mais dans la mise en bouteille, le matériel viticole ou les bouchons, pour ne pas citer l’édition de livres sur le sujet…

Photo de Pierre Rion: © Odile Vanhellemont