Dire que le vignoble des Agaises a révolutionné la viticulture belge avec sa célèbre cuvée Ruffus est un euphémisme : sans cette expérience, le paysage serait fort plat…

Quelle mouche piqua donc Raymond Leroy à la fin de ses études d’œnologie à Montpellier à la fin des années 70 de vouloir lancer un vignoble ? A une époque où, en Belgique, les parcelles de vignes de plus d’un demi-hectare se comptaient sur le doigt d’une main, tant au sud qu’au nord du pays ?

Parti se former en France à la reprise des affaires familiales d’importation directe de vins et liqueurs (les vins Leroy-Prevot à Binche), il revint au pays avec l’envie de planter, mais pas n’importe où. Durant ses tournées de livraison de marchandises, il inspectait les environs pour dénicher l’endroit idéal. Son dévolu se jeta sur “les Terres blanches” à Haulchin, un terrain calcaire non loin de chez lui, appartenant au fermier Joseph Delbeke à qui il demanda l’autorisation de planter.

Celui-ci ne l’entendit pas de cette oreille et l’envoya gentiment promener. Dépité, Raymond Leroy planta 600 pieds de vignes de Pinot noir dans son propre jardin et fit diverses expérimentations sans réel avenir. Vingt ans plus tard, en 2001, il fait la connaissance à une soirée des Anciens du Collège de Bonne-Espérance de Binche du fils de Joseph, Etienne Delbeke.

En fin de soirée, après quelques bouteilles, le projet refait surface et les deux hommes décident de s’associer. Pour les assister dans l’aventure, ils font appel à Thierry Gobillard, un important producteur de Champagne que Les Vins Leroy-Prevot importait depuis plus de 30 ans. S’ajoutent à eux, Michel Wanty, l’oncle d’Isabelle (la femme de Raymond) et Joël Hugé, un ami.

 

La vendange de 2009, année de la sortie du livre “Vignobles de Belgique” – © Vanel

 

Premières plantations

En quelques mois, la société “Vignobles des Agaises” est créée et décision est rapidement prise de planter deux hectares de Chardonnay dans le but de faire des vins effervescents. Ce qui était encore plus audacieux, car s’il n’y avait pas vraiment plus de viticulteurs belges qu’en 1980, aucun n’élaborait de vins effervescents, mis à part Paul Vleminck au Domaine Chardonnay Meerdael dans le Brabant flamand qui venait de se lancer après une belle carrière… dans la moutarde.

En vingt ans, la superficie des Agaises passe progressivement de 2 à 31 hectares (de nouvelles plantations se profilent pour 2022 et 23) et la production annuelle oscille entre 100 et 350.000 bouteilles, selon les conditions climatiques parfois capricieuses de nos contrées, 2018 étant de loin le meilleur millésime.

 

La parcelle plantée en 2005 – ©Vanel

 

Avec l’achat de matériel, les divers agrandissements successifs du chai et des installations, ce sont plus de dix millions d’investissements, et cela sans faux pas. Aujourd’hui, les fils de Raymond, John et Leroy reprennent le flambeau, bientôt rejoints par les enfants d’Etienne. Un magnifique exemple d’entreprise familiale dont les vins ont été très souvent récompensés par des médailles dans les grands concours internationaux.

 

John et Arnaud, la relève – © Vanel

 

Bulles, bulles, bulles

Mais le plus remarquable dans cette histoire est que l’exemple du succès de Ruffus a véritablement inspiré toute une génération de viticulteurs. Aujourd’hui, le nombre de domaines a explosé et aucun, ou quasi, qui ne fasse au moins quelques bouteilles de bulles selon la méthode traditionnelle, soit en IGP Vin mousseux de qualité, soit en AOP Crémant de Wallonie (si la vendange se fait manuellement), une excellente manière de valoriser l’acidité de raisins pas toujours parfaitement mûrs.

Plus de 60% de la production wallonne et 25% environ en Flandre pétillent, avec grand succès. Des voisins quasi directs des Agaises (Domaine du Chant d’Eole, Mont des Anges,…), mais aussi le Domaine du Chenoy, Mellemont, Domaine W, Vin de Liège, Domaine de la Bouhouille, Chenoy, Sirault, Ry d’Argent, Bioul… impossible de citer tout le monde.

Un livre pour célébrer cela

Ce 3 mai sortira le livre “Ruffus, une histoire belge” qui retrace sous la plume de René Sepul toute l’épopée du vignoble, avec de nombreux témoignages. Il vous reste un an pour le lire, avant de fêter cette fois les vingt ans du Domaine du Chenoy planté en 2003…

> SH-OP éditions, 360 pages. En vente sur place, chez les cavistes qui vendent du Ruffus, en librairie ainsi que sur ruffus.be ou sur sh-opeditions.com au prix de 40€.

Marc Vanel, 02/05/2022

Paru dans la DH Dimanche le 1/5