D’où vient la magie du Champagne qui opère chaque année pendant les fêtes ? N’est-il qu’une combinaison de chance, de décisions marchandes, de promotion bien utilisée ? Le Champenois Michel Drappier pose la question dans sa dernière Lettre d’Infos n°58. Voici, avec son autorisation, de larges extraits…
« Écho de son liège libéré, or cuivré de sa robe, éclosion de sa bulle fine, le Champagne est un mythe. Les historiens diront qu’il s’agit d’une belle réussite commerciale. C’est indéniable, les Champenois ouvraient les portes du marketing bien avant l’avènement du monde moderne. Mais cela n’explique pas tout. D’où vient la magie du Champagne qui opère chaque année pendant les fêtes ?
À partir du baptême de Clovis en 496, Reims devient la ville des sacres. Par la figure des 31 hommes couronnés rois en Champagne, la production du vin local se lia de façon irrémédiable au mythe fondateur de la France et à l’opulence de ses fêtes, qui se déroulent alors dans la « Salle du Festin », encore existante aujourd’hui au Palais du Tau. La cour royale emporte avec elle le souvenir enivrant de ces fêtes champenoises, et la mode du pétillant vin de Champagne cher à Louis XIV. Capitalisant sur l’aura grandissante de leur vin, les Champenois saisissent l’opportunité d’un marché tout proche : Paris et Versailles.
En 1728, Louis XV, aussi amoureux du Champagne que l’était son père, fait paraître un décret qui autorise son conditionnement en bouteilles. À cette époque, le Champagne est le seul vin à bénéficier d’un tel traitement, tous les autres sont encore transportés en barriques.
Les Champenois utilisent alors ce contenant comme un outil de promotion, les pionniers de l’étiquette n’hésitent pas à afficher des personnages célèbres pour vanter les mérites de leur production. Le XIXe siècle renforce encore l’image du Champagne qui coule à flots sur les tables royales et dans les ambassades du monde entier. Le symbole est repris par les bourgeois et les nouvelles classes dans les quatre coins du monde, grâce aux réseaux ferroviaires en développement. Les producteurs devenus « marques » utilisent les nouvelles technologies de l’époque pour se faire connaître. Le premier film publicitaire connu dans l’Histoire, et réalisé par les frères Lumière, promeut une marque de Champagne !
Alors, le Champagne, ce ne serait que cela ? Une combinaison de chance, de décisions marchandes, de promotion bien utilisée ?
(…) Depuis le XVIIIe siècle, le Champagne est un vin dont la qualité dépend de sa bulle, pour laquelle il est apprécié à travers le monde. Terre hostile et froide, où la culture de la vigne est rude et difficile, la Champagne a fait naître un vin à la fois complexe et aérien. Aujourd’hui enviée, cette typicité n’a jamais été contestée par l’Histoire.
(…) D’Attila au bombardement de Reims et la bataille de la Marne, en passant par la Guerre de Cent ans, la terre de Champagne a vu s’affronter toutes les nations du monde. Une terre meurtrie mais résistante qui a donné naissance à un vin bien spécial : le Champagne, symbole de la plus importante des célébrations, celle de la réconciliation et de la paix. N’était-ce pas une coupe de Champagne à la main que le Général de Gaulle a repris pied dans une France libérée?
Au-delà du prestige royal, ou présidentiel, et, il faut bien le dire, de sa valeur, car le Champagne a son prix, ce sont les qualités intrinsèques de ce vin aux bulles fines qui l’ont imposé lors des célébrations. En effet, à côté de certains alcools forts ou de vins trop riches et parfois “lourds”, la légèreté du Champagne, sa fraîcheur et sa digestibilité ont fait de lui le roi de la fête.
Alors, célébrons cette fin d’année avec le vin le plus joyeux qui soit, chez soi, en famille, ou au restaurant. Et puisqu’il ne nous est plus permis de nous embrasser en toute liberté, alors trinquons, le bras et le verre tendus vers l’autre, en signe de partage et d’amour. »
Lettre 58 du Champagne Drappier, automne-hiver 2020 – 27/10/20
Egalement à lire sur ce blog mon article Drappier : brut nature !
