Rachetée en octobre dernier par le groupe Rémy-Cointreau, la Maison champenoise Telmont lance aujourd’hui un projet ambitieux intitulé « Au nom de la Terre » qui vise à développer un vignoble 100% bio en 2025, mais bien plus encore. Interview avec son président Ludovic du Plessis.

 

Fondée par Henri Lhôpital en 1912, la Maison Telmont implante son siège en 1968 à Damery, près d’Epernay. Quelques années auparavant, en 1947, la Maison avait été rebaptisée « J. de Telmont » par André Lhôpital en hommage à son grand-père. Elle sera connue sous ce nom jusqu’à l’an dernier.

Depuis 1999, la quatrième génération est à la barre avec Bertrand et Pascale, les enfants de Serge Lhôpital, le premier étant toujours chef de cave et de cultures. Soucieuse de respecter l’environnement, la Maison entame une conversion vers le bio et obtient une première certification en 2017. Aujourd’hui, 72% des 25ha de la propriété sont bio ou en conversion, tout comme 49% des apporteurs de raisins qui représentent 55 autres hectares.

Du moins jusqu’à présent, car Telmont a entamé un projet éco-responsable d’envergure sous l’impulsion du nouveau directeur général Ludovic du Plessis.

Ludovic du Plessis

A quelques encablures de la cinquantaine, celui-ci a déjà connu plusieurs vies et travaillé, e.a., dans les cigares, les vins et les spiritueux, passant notamment chez Dom Pérignon et Moët & Chandon avant de devenir en 2014 directeur exécutif de la marque de cognac Louis XIII dans le groupe Remy-Cointreau qui a repris la majorité des parts de Telmont en octobre dernier.

« J’ai eu la chance de commencer ma carrière, explique-t-il, dans les cigares. Pour une soirée de dégustation organisée pour mes « top collectionneurs » de cigares, j’avais demandé six bouteilles à Dom Pérignon, et j’ai eu la chance de recevoir aussi Richard Geoffroy (chef de cave de Dom Pé jusque 2018 – ndla) en prime.

Je suis tombé amoureux du charisme de l’homme et j’ai laissé tomber mon job pour bosser chez LVMH pendant plus de dix ans. En 2014, j’ai été appelé par le groupe Remy-Cointreau pour gérer le marketing de sa marque Louis XIII Cognac. »

Intra-entrepreneur

En 2019-2020, Ludovic du Plessis se met à la recherche d’une maison de champagne à acquérir et grâce à laquelle il pourrait « être un peu terrien », comme il se plaît à dire, et faire « du business with purpose » (avec une intention, un but – ndla).

« Dans mes recherches, je tombe sur le champagne J. De Telmont dont je tombe amoureux pour diverses raisons. C’est tout d’abord une maison centenaire, avec une belle histoire, mais surtout une maison familiale avec Bertrand Lhôpital aux manettes, chef de cave et chef de vignes. Il a 47 ans, c’est un peu mon alter ego. Mais Telmont est aussi une maison qui a des vignes en propre et qui a eu l’intelligence de commencer la conversion en bio. J’ai rapidement eu envie de m’y investir, de tout transformer en bio et de développer une approche plus globale.

J’ai proposé à Rémy Cointreau de racheter ensemble, ce qui fut accepté avec enthousiasme. C’est une formule très moderne où je reste salarié de de Rémy-Cointreau tout en étant également associé avec la famille Lhôpital. Car Bertrand est aussi partie prenante du projet, je ne restais qu’à cette condition, on forme vraiment une équipe. »

Au passage, le champagne J. de Telmont devient Champagne Telmont,  “prononçable” partout dans le monde.

 

Bertrand Lhôpital

 

Projet de vie

Si le Comité interprofessionnel du Vin de Champagne incite ses membres à développer une viticulture écologique avec une réduction de 25% de leur empreinte carbone, il y a encore peu de surfaces bio dans cette région. Selon l’Association des Champagnes Bio, il y aurait aujourd’hui environ 400 domaines pour un peu moins de 2000 hectares en bio ou en conversion, sur les 34.000 hectares des surfaces totales en exploitation.

Conscient qu’il s’agit d’un enjeu majeur, la Maison Telmont lance aujourd’hui un programme très ambitieux intitulé « In Nomine terrae », « Au nom de la terre », avec cinq objectifs.

1) La préservation du terroir et de la biodiversité

Telmont entend convertir 100% de ses 25 hectares d’ici 2025 et aider ses apporteurs de raisins (55ha) à passer en agriculture biologique avant 2030. La biodiversité sera en outre favorisée sur l’ensemble du domaine, aussi bien dans les vignes que dans les espaces naturels attenants. Dans cette perspective, 2500 charmilles seront mises en place d’ici trois ans pour constituer des « hôtels à insectes » dans les vignes, préserver la diversité faunistique et contribuer à la fixation durable de carbone.

« Je souhaite continuer ce que Bertrand a commencé, , précise Ludovic du Plessis, avec la suppression de tous les pesticides, herbicides et autres fertilisants chimiques. Certains plaident pour des labels tels que le HVE, c’est bien, mais j’affirme ma personnalité en optant pour le 100% bio. »

2) La généralisation de l’éco‐conception

Ce sera une première en Champagne, Telmont va non seulement arrêter tous les emballages de ses bouteilles (étuis, coffrets, etc.), mais aussi abandonner les bouteilles blanches qui n’utilisent que 20% de verre recyclé pour n’utiliser que des bouteilles vertes (85%). Un programme de collecte et de nettoyage des bouteilles vides de ses clients sera aussi mis en place mais dans le but de revendre les flacons nettoyés dans d’autres filières (cidres, mousseux, etc.).

« Il faut prendre ce projet environnemental dans sa globalité, reconnaît le jeune président, il faudrait réfléchir avec toutes les maisons de champagne pour réduire le poids d’une bouteille porgressivement à 800 gr. A mon échelle, je suis tout petit, mais je lance un appel au dialogue pour y aller tous ensemble, car cela représente 300millions de bouteilles. »

3) L’approvisionnement en énergie renouvelable

A partir d’aujourd’hui, la Maison s’engage à s’approvisionner à 100% en électricité d’origine renouvelable et à privilégier toute autre source d’énergie « verte » pour l’ensemble de ses activités. Un projet de développement sur site d’équipements de production d’énergie solaire est aussi à l’étude.

4) La logistique

Pour limiter les émissions de gaz à effet de serre indirectement liées à son activité, Telmont privilégiera dorénavant pour ses approvisionnements et expéditions les transporteurs les plus performants en termes de RSE. Elle s’interdit en outre désormais tout recours au transport aérien.

5) La traçabilité

« Notre étiquette est la carte d’identité de notre champagne, explique du Plessis, elle doit donc tout dire, cépages, dosages, composition des vins avec les années de récolte… C’est un parti pris et j’y crois énormément. Toutes les bouteilles seront numérotées, on va savoir ce que l’on produit. Cela va nous permettre d’améliorer la traçabilité et donnera confiance à nos clients. »

Sortie imminente

Tradition et modernité

« Au nom de la Terre » engage la Maison pour les décennies à venir. Pour l’ensemble de ces cinq objectifs, les résultats seront partagés avec le grand public, au travers des supports de communication de la Maison. « Ce projet est pour moi nouveau en Champagne », conclut Ludovic du Plessis qui résume la maison par une formule imagée : « j’ai le pied gauche dans la tradition, l’héritage, la transmission, et le pied droit dans la modernité. Notre approche est très moderne, sans compromis, … mais avec les deux pieds sur et dans la terre. »

Pour marquer le lancement du projet, la première cuvée bio sort dans quelques jours, “La Réserve de la Terre” avec la récolte de 2017, année de la certification, elle sera fermée avec une ficelle.

Marc Vanel – 21/6/21 – Photos: Telmont.