A la tête de Gustoworld, société spécialisée dans l’importation de vins non français en Belgique et à Bordeaux, Christophe Heynen est depuis le 28 août dernier le second Belge à devenir “Master of Wine”, un titre obtenu après cinq années d’efforts. Il nous en explique la signification.

Aujourd’hui considéré comme l’un des plus importants importateurs de vin en Belgique, Christophe Heynen a démarré… dans l’horeca. Diplômé en 1998 de l’Ecole Hôtelière de Lausanne (EHL), il  travaille pendant quelques années au Canada et aux États-Unis, avant de revenir en Belgique pour démarrer son entreprise de vin.

Engagé socialement en faveur de l’entrepreneuriat en tant que membre et ancien président de plusieurs associations d’entrepreneurs, Christophe a également entrepris de compenser l’empreinte carbone de chaque bouteille qu’il vend (voir ICI). Diplômé WSET, il a rejoint le programme des « master of wine » en 2015.

“Master of Wine”, qu’est-ce que c’est?

Master of Wine, c’est un titre, mais ce n’est ni un doctorat ni un MBA. Si on parle du Meilleur sommelier du monde, tout le monde comprend de quoi il retourne car sommelier, c’est un job. Par contre, un « Master of Wine » (ou « MW »), je reconnais que peu savent que cela représente la plus haute distinction dans le domaine du vin,  nous ne sommes que 409 dans le monde depuis la création de l’Institute of Master of wine à Londres en 1953. (Liste complète ICI)

Un MW est quelqu’un qui a pu démontrer, à travers différentes épreuves, pratiques et théoriques, qu’il avait une connaissance assez large sur tous les aspects du vin: viticulture, connaissance des sols, porte-greffes, cépages, maladies et leur traitement, la création de vignoble, etc. En passant bien sûr par l’œnologie et donc tout ce qui est vinification, températures, levures, élevage, contrôle qualité, micro-biologie du vin,… Sans oublier le commerce: le MW doit connaître les taxes dans les différents pays, une partie de la sommellerie, mais aussi ce qui se passe en termes de tendances de consommation dans les différents marchés. Et enfin, c’est quelqu’un qui sait déguster et disséquer tout type de vin et faire une note de dégustation appropriée.

 

 

Que faut-il étudier?

Il n’y a pas de syllabus en fait, c’est une première barrière à franchir, car on ne sait pas ce qu’il faut apprendre, sinon “tout”. Cela ne finit jamais en réalité, c’est le processus de toute une vie. Impossible de tout connaître ou maîtriser, mais on veut que tu comprennes les différents éléments pour atteindre le niveau professionnel le plus haut possible. Pour aussi bien comprendre la problématique du producteur, de l’importateur que celle du journaliste…

Pour y entrer, il faut d’abord être parrainé par un autre MW et réussir un examen d’entrée. Une fois celui-ci réussi, on peut commencer ses études (tout seul).

La première année, on t’attribue un parrain, un MW de la même région ou de la même langue que toi, et on te donne un certain nombre d’exercices à faire pendant l’année, soit à distance, soit à Londres à l’Institut, soit à San Francisco ou à Sydney selon le pays où tu habites.

Différents thèmes sont donnés et il faut les étudier au fur et à mesure. La difficulté est que 80% des informations sur Internet sont erronées et qu’il te manque les exemples concrets (et contradictoires), c’est hyper flagrant quand on fait ce type d’études, il faut tout le temps vérifier ses sources.

On te donne un feed back sur les textes que tu rends et évidemment au début, c’est catastrophique, tu perds complètement confiance. On te casse réellement. C’est vraiment très compliqué et complexe, car il faut faire deux choses en même temps : étudier tout ce qui est possible de l’être et surtout déguster à l’aveugle sans arrêt, car l’examen de dégustation est encore plus complexe…

Pour chaque question de l’examen donnée, il faut donner la réponse de la théorie mais aussi donner six à huit exemples totalement différents. Il y a environ 200 élèves par an avec un taux de réussite extrêmement bas – ces examens sont réputés comme parmi les plus difficiles à réussir au monde.

Quelle est la durée du processus?

Après avoir réussi l’examen d’entrée, il faut, après un an, passer un mini-examen avec quatre questions théoriques et douze vins à déguster à l’aveugle. Il faut réussir ce “petit” examen pour avoir le “droit” de présenter les examens de MW proprement dits. Seulement environ 45 % des élèves passent ce premier examen.

Puis, après deux ans maximum, il faut présenter une des parties des examens, et on a droit à trois chances. Il y a cinq sections théoriques (viti, oeno, contrôle qualité/microbiologie du vin, commerce et éléments juridiques, et, thèmes libres). Et aussi 3 sections pratiques avec 12 vins blancs, 12 rouges, et 12 effervescents/liquoreux/orange/nature, etc. à déguster, reconnaître et commenter. Cela se déroule sur 4 jours. C’est un vrai marathon. On m’avait dit qu’il fallait se préparer à la fatigue que ce genre d’exercice engendre, je l’avais sous-estimée même si j’étais particulièrement « fit ». Certains prennent des coachs sportifs ou mentaux d’ailleurs ou sont sponsorisés par leur pays et donc peuvent s’y consacrer full time.

 

Quel fut ton propre parcours ?

J’avais beaucoup de lacunes dans les aspects viticulture et œnologie. Vraiment beaucoup, car en tant qu’importateur de vins, on n’est pas focalisé là-dessus. On croit qu’on s’y connaît, mais en réalité il y a un fossé abyssal entre le producteur et le vendeur de vins. C’est là qu’on s’en rend compte. Il y a beaucoup de choses que le producteur ne dit ou n’exprime pas convenablement ou fait d’une certaine manière sans savoir pourquoi et sans chercher à le comprendre… Non seulement, nous devons comprendre pourquoi il le fait comme cela, mais aussi pourquoi un autre le fait différemment. Et exposer les différentes approches…

Il y a aussi une thèse à présenter…

Après avoir réussi les examens, on doit écrire une thèse. J’ai choisi d’illustrer le financement participatif dans le cadre de création et/ou d’extension de vignoble ou de chai. J’avais déjà rencontré en Belgique la coopérative Vin de Liège, le Domaine W, Vin du Pays de Herve, j’ai même déjà contribué à l’un ou l’autre projet aux Etats-Unis, c’était quelque chose qui me parlait. Le partage, etc. Cela a été passionnant (ce sera le sujet d’un autre article – ndla).

J’ai été ajourné la première année, j’avais sans doute un dossier trop technique et cela manquait de critique personnelle, mais je l’ai retravaillé pendant un an, rendu en juin dernier et réussi !

Cela coûte cher ?

Le minerval n’est pas si cher, environ 3500 à 4000€ par an. Pour diminuer les frais, grâce au système « Coravin », j’ai partagé énormément d’échantillons avec d’autres élèves français et allemands. Puis, on revend les bouteilles à d’autres étudiants, ce qui limite cette partie des frais. J’ai participé aussi à de nombreux salons et dégustations afin de m’entrainer.

On a un séminaire d’une semaine par an, en Europe si on le veut, ce qui limite les frais de déplacements. Ce qui coûte cher, ce sont en fait les voyages qu’il faut faire pour découvrir les producteurs et obtenir les exemples.

N’est-ce pas une formation très anglo-saxonne?

Au début peut-être, car l’Institut est né du désir de l’industrie anglaise de se professionnaliser et d’accorder un titre à une série de personnes qui avaient des compétences reconnues.

Mais cela s’est énormément développé au niveau international (il existe des MW dans plus de 30 pays dans le monde), cela reste bien sûr encore un peu anglo-saxon, mais chacun peut présenter les examens dans sa langue maternelle avec traduction simultanée. Aujourd’hui, les Français sont les plus présents après les Anglais, mais aussi les Espagnols et les Italiens. Normal, ce sont les plus grands producteurs de vins dans le monde.

Que se passe-t-il une fois qu’on a le titre?

Pour autant que tu respectes la Charte de l’Institut et que tu paies une petite cotisation annuelle, tu peux accoler les lettres MW à ton nom. Cela donne une crédibilité internationale exceptionnelle et t’ouvre les portes à tous les métiers du monde du vin. Après cela, on peut être journaliste, critique, conférencier, se spécialiser dans une partie du monde du vin, être producteur de vin, tout est possible.

En Belgique, je suis le second après Jan Declerck en 1998. Pedro Ballesteros MW et Fiona Morrison MW vivent en Belgique, mais ils ne sont pas belges. Cela étant, plusieurs Belges sont inscrits, je les aurai sans doute comme pupilles.

Quel bilan (provisoire)?

J’avais plusieurs motivations. La première était d’apprendre, de parcourir tout ce chemin. C’était très intéressant, j’ai appris déjà beaucoup de choses. Le vin me passionne, je me suis rendu compte que je ne maîtrisais pas certaines choses et je voulais savoir pourquoi, comment. Ce besoin est assouvi – enfin je me rends compte que l’apprentissage va durer toute ma vie, tellement le sujet est vaste.

Ensuite, d’un point de vue personnel : ne sachant pas de quoi le futur sera fait, je voulais me donner un maximum d’opportunités. En tant que chef d’entreprise, j’aime avoir plusieurs options. Si tu es reconnu comme spécialiste mondial du vin, tu te dis qu’il y a de la ressource. Même si cela demande beaucoup de travail.

Le troisième élément, c’est bien sûr pour mes affaires. Cela m’ouvre des portes au niveau de certains fournisseurs, je suis tout de suite pris au sérieux. Avant, je n’étais pas connu, parfois je n’avais même pas de réponse à mes mails…

Pour être honnête, lorsque j’analyse ce que j’ai dû faire pour en arriver là, c’est quand même un sacrifice conséquent. En termes d’heures, certes, mais il faut surtout faire une croix sur bon nombre de choses, personnelles, privées, familiales, cela a été fort compliqué. Ma famille a un rôle tout à fait considérable dans cette réussite aussi, et je les remercie de m’avoir permis de faire ce programme. Maintenant je vais pouvoir dire si cela en valait la peine…

Marc Vanel, 09/09/20