La fermeture de l’Horeca aura aussi un impact sur les ventes de boissons, les taxis, la vie sociale et la solitude de certaines personnes âgées.

Hier vendredi, je déjeunais dans un restaurant de Wavre, bien encadré par deux parois de plexiglas que je trouvais finalement bien pratiques, car garantissant une certaine intimité, et à la table voisine était assis un homme d’un certain âge, loin d’être grabataire, mais manifestement retraité et seul.

Son regard se perdait devant lui, il n’avait ni l’air triste, ni gai, il mangeait paisiblement. Il m’a fait penser à un autre « vieux », bien plus âgé, qui fréquentait un restaurant du centre de Bruxelles et qui mangeait tous les soirs le plat du jour.

Chaque fois que j’y venais moi-même, il était là, toujours à la même place, et le personnel de salle lui était tout dévoué. A force de se croiser, on avait fini par se dire bonjour et par échanger quelques mots. Jusqu’à son décès l’année dernière.

Cette personne habitait le quartier Sainte-Catherine et le restaurant était pour lui la sortie du jour, l’occasion de voir du monde, de manger et de boire un verre de vin.

Hier, lors de l’annonce de la fermeture de l’Horeca, c’est à lui que j’ai pensé, en me disant qu’ils devaient être des centaines dans le même cas, des centaines qui vont demain se retrouver sans point de chute, sans compagnie et qui s’éteindront sans doute un peu plus vite. On ne pourra pas dire qu’elles sont des victimes de la Covid-19, mais presque.

Souvenirs

Le rôle social des bars et restaurants n’est plus à démontrer. Que ce soit au niveau du personnel souvent venu des quatre coins du monde, que ce soit au niveau des jeunes dont ce sont les seules ressources leur permettant de payer leurs études, que ce soit tout simplement pour venir chercher un peu de chaleur humaine.

Notre richesse culturelle et sociale se construit de ces souvenirs ramenés d’expériences gastronomiques dans les petits et grands restaurants, ils nous font vivre et avancer, c’est une évidence.

Aussi, ce matin, au lendemain de ces annonces terribles, je sens comme un immense deuil. Bien sûr pour ma propre vie, je vais quand même quelques fois par semaine au restaurant, mais pour celle des autres.

L’Horeca compte en Belgique, selon les chiffres du Forem, 26.687 établissements donnant du travail à 139.000 salariés et 95.432 indépendants. Ces chiffres incluent les hôtels bien sûr, mais comme le soulignait Eric Boschman, en pleurs lors d’un émouvant direct Facebook hier soir, les restaurants et cafés représentent 60 à 80.000 emplois. Déclarés, serais-je tenté de dire, il doit donc y en avoir un peu plus, mais ceux-là n’auront droit à aucune indemnité, à aucune aide.

Un indépendant qui veut se payer 1800 euros nets par mois (ce qui n’est pas un luxe) doit prévoir 600 euros environ de précompte et 500 de charges sociales et 300 de frais divers, soit environ 3200 euros. Et c’est vraiment le strict minimum. On peut se demander ce que représente un droit-passerelle de 1200 euros dans ce cadre.

Galère

Depuis le « déconfinement » de mai, j’ai discuté avec de nombreuses personnes de l’Horeca sur la manière dont cela se passait. Même si le bilan n’a pas été négatif pour tout le monde, comment ne pas comprendre la détresse de ce traiteur qui ne peut plus préparer de banquets de mariage, ou celle de ce restaurateur qui doit rentrer 1000 euros par jour pour payer l’ensemble de ses charges (le loyer est de 10.000 euros + le personnel) et qui arrivait péniblement à 300 ou 400 euros lors des « belles journées » de juillet-août.

Comment ne pas comprendre la douleur de celle ou de celui qui avait choisi de se lancer juste avant le confinement, qui a dû patienter trois mois sans revenus alors que tout était déjà engagé et qui aujourd’hui doit encore fermer ?

Comment ne pas comprendre non plus tous ces importateurs de vins, cavistes ou bars à vin, dont l’Horeca est le principal débouché ?

Durant le premier confinement, les vignerons belges et les cavistes ont souffert, les ventes ont été arrêtées du jour au lendemain et elles reprenaient timidement. Certains ont bien sûr fait preuve de créativité et développé d’autres canaux de vente, mais tous espéraient que ce serait enfin terminé. La fin d’année risque d’être plus que douloureuse, avec des faillites ou des dépôts de bilan à la pelle.

Quant à moi, j’ai le bonheur d’avoir un job qui consiste à explorer le vignoble (en zones rouges partout en Europe) et à déguster des vins lors de dégustations souvent organisées dans des restaurants, vous imaginez aisément que la situation impose tout simplement l’arrêt de mes activités. Mais je ne suis pas le plus à plaindre, je le reconnais volontiers.

Toutefois, lors de ces prochaines semaines, je ne manquerai pas de soutenir l’Horeca en commandant des plats à emporter, même si je ne suis pas fan de ce système générant d’énormes déchets. Et si je peux aider à des actions de revendication, je suis dispo ! Bonne m… à tous !

Marc Vanel, 17/10/20