Rue des Petites Vignes, Impasse de la Vignette, rue des Cotillages à Cointe, rue de Bourgogne à Vivegnis, rue des Vignerons à Jupille, etc, autant de noms de rues et lieux-dits, qui attestent clairement de la culture de la vigne en région liégeoise depuis plus de 1200 ans.

La naissance de Liège

Au VIIe siècle, Liège n’est encore qu’un petit village sur la route reliant Cologne à Tongres, première capitale du diocèse, puis la mer du Nord. Seules quelques familles d’agriculteurs et de bateliers habitent à cet endroit qui, par une donation royale (sans doute peu avant 675), entre dans le patrimoine de l’église.

Les évêques de Tongres ont jusqu’alors fait de Maastricht leur lieu de résidence principale, même s’ils possèdaient également des résidences secondaires à Huy, Namur ou Dinant. Fin du VIIe siècle, l’évêque Lambert marque une rupture dans la tradition en faisant du « Vicus Leudicus » son séjour de prédilection.

Assassiné en 705, Lambert fut rapidement considéré comme un véritable martyr et sa dépouille transférée vers 718, en plusieurs étapes, de Maastricht à Liège où Hubert lui consacra une église pour accueillir les pèlerins qui s’y pressèrent nombreux. Celui-ci y établit également sa demeure, imité par ses successeurs et Liège devint progressivement le chef-lieu du diocèse de Tongres, dont le nom changea au XIe siècle.

Après les invasions normandes et les efforts de reconstruction menés par Eracle (959-971), le prince-évêque Notger ouvre une nouvelle page de l’histoire liégeoise. La physionomie de la ville va être radicalement transformée sous le règne du premier véritable prince-évêque et son importance va rapidement dépasser celle de Maastricht.

Alors que l’on approche de l’an 1000, date avancée par certains comme étant celle de la fin du monde, une fièvre de construction s’empara du diocèse de Liège. Sept églises et abbayes furent ainsi construites entre 976 et 1011. Et le vin étant nécessaire à la célébration du culte, de nombreux vignobles vont être plantés, mais pas toujours dans leurs environs immédiats de la ville.

La vigne fait son apparition à Liège en trois temps majeurs : au nord à partir de 830, au sud vers 1035 et enfin à l’ouest vers 1240.

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Le rôle des abbayes et de la bourgeoisie

Comme l’indiquent les travaux de Joseph Halkin, le coteau de Vivegnis (Oupeye) posséda dès 830 des vignes qui devinrent au fil du temps les meilleures de la région.

L’abbaye de Saint-Hubert (830), le Chapitre Saint-Lambert (1182), l’abbaye de Gembloux (1213), l’abbaye de Saint-Jacques (1271) ou encore la collégiale Saint-Barthelemy possédèrent des vignes sur ce coteau qui donna du vin jusqu’au XIXe siècle. La carte de l’Etat-Major belge y mentionne encore un vignoble en 1877 à l’endroit appelé « les vignes de Vivegnis ».

Les vins produits à l’époque sont toutefois, malgré quelques exceptions, réputés médiocres. Les vignerons subissaient alors très fort la concurrence des vins étrangers. «

Dans le diocèse de Liège, on considérait comme produit de luxe les crus du Rhin et de la Moselle. A part quelques grandes abbayes, telles que Nivelles, Saint-Trond, Stavelot ou Saint-Hubert qui possédaient des vignobles sur ces deux cours d’eau, la plupart des monastères, des prieurés, des chapitres séculiers, et de même les membres de l’aristocratie laïque et les riches bourgeois devaient demander au commerce les tonneaux de vins de choix, dont ils aimaient à garnir leurs celliers.  (…) Les crus du Rhin et de la Moselle conservèrent longtemps une sorte de monopole dans la région mosane. » (1). Il est établi que les vignes plantées sur le territoire de la future Belgique sont arrivées via l’Allemagne et non amenées par les Romains.

La Meuse joue un rôle évidemment important dans le développement de ce commerce : la construction de ponts en témoigne : sept édifices vont être construits entre 1000 et 1150 sur le trajet du fleuve : à Givet, Dinant, Namur, Andenne, Huy, Liège et Visé.

A l’exception d’Andenne, chacun de ces ponts va être protégé par une citadelle le surplombant. En deux siècles, Liège devient la plus grande ville de l’Empire. Et les principales villes du diocèse vont alors développer des vignobles dans un premier temps dans la ville, à l’intérieur des murs ou des fortifications, ensuite au dehors de ceux-ci, dans les campagnes avoisinantes.

Mais les communautés religieuses n’en faisaient pas commerce, la pratique était donc limitée. Les vignobles étaient avant tout la propriété de bourgeois ou de maraîchers habitant la ville : « La viticulture est (alors) principalement une affaire de ‘bourgeois’ au sens médiéval du terme, donc une affaire de citadin ; elle n’est pas le fait des paysans préoccupés de produire des céréales et de pratiquer l’élevage. » (2)

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La vigne dans la ville

Du XI au XVIe siècle, la vigne se développe dans plusieurs quartiers de Liège. On trouve ainsi, au début du XIe siècle, les vignobles de l’abbaye bénédictine de Saint-Laurent, agrandis en 1036 sur la montagne Sainte-Walburge.

Derrière le Mont-Saint-Martin, dans la vallée de la Légia, dont le versant septentrional fut couvert de vignobles, on cultivait le raisin notamment à Hocheporte, Montagne Sainte-Walburge, Volière et Pierreuse. On en trouve également en 1335 sous Saint-Martin à la Sauvenière. Aux XIVe et XVe siècles, ce n’étaient, sous la citadelle, que vignobles appartenant à différentes corporations religieuses et à des particuliers.

A la fin du XVIe siècle, l’agrandissement de la ville du côté de la Montagne entraîna la destruction des vignes sous la Citadelle, c’est-à-dire au-dessus de la rue Hors-Château actuelle.

L’expansion de la cité ne fut pourtant pas la seule raison du déclin de la viticulture à Liège : on peut aussi retenir e.a. :

  • le sac de Liège en 1468 par Charles le Téméraire qui fit arracher la quasi totalité des vignes de la ville,
  • les deux épisodes de gel de la Meuse en 1564 et 65 au début de ce que les météorologues appellent la « petite ère glaciaire » qui marqua un refroidissement général en Europe,
  • la famine qui frappe neuf fois (!) les Liégeois et les Namurois de 1645 à 1744, sans parler de la peste et des autres guerres,
  • la concurrence de la bière et des vins étrangers, etc.

Début XIXe, divers rapports de préfets de Napoléon font pourtant mention d’un important vignoble liégeois réparti sur dix-huit communes et de vendanges qui se feraient à Liège près de trois semaines avant le reste du pays (3). Surprenant, alors que d’aucuns prétendent, sans y apporter de preuve, que Napoléon a fait arracher toutes les vignes belges pour ne pas faire de l’ombre aux vins français…

De 1812 à 1832, le territoire de la ville de Liège compte très exactement « 36 hectares, 93 ares et 52 centiares » de vignobles, surface qui tombe à 25,95 ha en 1846 (4). Le premier recensement agricole réalisé en 1846 mentionne 166 hectares de vignes sur l’actuel territoire de la Belgique, dont 88% en province de Liège, depuis Seilles jusqu’au sud de Visé, mais ces chiffres couvrent en réalité toutes les cultures de raisin : de table et de cuve. On estime à 50 le nombre d’hectares cultivés à Huy et à 25 pour Liège pour un total de 700.000 bouteilles environ. Exactement comme en 2017 pour toute la Wallonie…

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Plus de détails dans le livre «  Vignobles de Sambre et de Meuse, 12 siècles d’histoire » que j’ai publié avec Guy Durieux à compte d’auteur en 2013. Encore quelques exemplaires disponibles…

Marc Vanel, 17/01/20

 

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Notes :

  1. VAN WERVEKE H., « Comment les établissements religieux belges se procuraient-ils du vin au haut moyen âge ? » RBPH, t. II (1923), pp. 643-662.
  2. MARTENS Jean-Marie, « La viticulture en Belgique : vues historiques et prospectives », in « Parcs Nationaux – Bulletin trimestriel de l’association Ardenne et Gaume, volume XXXVIII, 1983, p. 24.
  3. D’après BINNEMANS Charles-Louis, « Vins et spiritueux en Belgique. Histoire d’un grand négoce », Glénat, Bruxelles, 1992, p. 17.
  4. Documents primitifs du cadastre de l’Etat, Statistiques de la Belgique, Agriculture – Recensement général du 15 octobre 1846, publié en 1850.