Pionnier des cépages résistants en Belgique, le domaine du Chenoy a entrepris en 2018 un virage impressionnant avec l’arrivée des frères Despatures qui ont embarqué dans l’aventure le brillant œnologue Eric Boissenot. Un exemple à bien des égards.
S’il est un domaine incontournable dans le monde du vin belge, c’est bien le domaine du Chenoy à Emines, près de Namur, fondé en 2003 et dirigé pendant 15 ans par Philippe Grafé avant d’être repris en deux étapes par un double duo de frères, Emmanuel et Fabrice Wuyts à la gestion et à la promotion d’une part en 2014, Pierre-Marie et Jean-Bernard Despatures à la commercialisation des vins et à la vigne d’autre part en 2018.
Ce vignoble est remarquable à plus d’un égard. Tout d’abord par sa taille, dix hectares plantés d’un seul tenant (il fut très longtemps le plus grand vignoble de Wallonie), mais ensuite, surtout, par le choix des variétés interspécifiques résistant aux maladies cryptogamiques de la vigne. Obtenues par pollinisations croisées successives, ces variétés demandent moins de traitements et permettent l’émergence d’une viticulture belge originale et durable, souvent bio.
Leur nom et leur goût, parfois qualifié de foxé, peuvent certes dérouter le public plus habitué à déguster des vins de chardonnay ou de pinot noir, mais Philippe Grafé à réussi à imposer des cépages jusqu’alors inconnus chez nous tels que solaris, johanniter, bronner, helios, merzling, pinotin, cabertin, regent, rondo et souvignier gris.
« Je suis un peu un révolutionnaire, me déclarait-il en 2018 lorsqu’il a été désigné personnalité de l’année par le magazine Vino, dans le sens où je ne crois pas que la tradition et le conservatisme soient les seuls critères de la qualité. Cela me passionnait de prouver par la pratique que je ne me trompais pas et qu’il était possible de faire en Belgique, année après année, des vins rouges, blancs et rosés de qualité tout en respectant l’environnement et l’état sanitaire du produit. Pour cela, l’adaptation au climat est primordiale et j’avais la conviction d’apporter un concept neuf. »
Grâce à son succès, il a entraîné dans son sillage nombre de néo-vignerons dont les plus connus sont aujourd’hui le château de Bioul, Vin de Liège, le domaine du Blanc Caillou ou le vignoble de Sirault, par exemple.
En 2014, l’homme a déjà 76 ans et songe à remettre ses affaires. Philippe Grafé s’associe alors avec Fabrice Wuyts qui vient de vendre Proximedia, une société spécialisée dans la création de sites web clé sur porte, qui investit donc dans le Chenoy, permettant au domaine de garder la tête hors de l’eau, mais aussi d’acheter le matériel pour passer en bio.
Les relations de ce dernier mettent Philippe Grafé en contact avec Jean-Bernard Despatures, un Mouscronnois « exilé » à Bordeaux en 1997 où il fut notamment directeur technique des Châteaux Dutruch Grand Poujeaux et Anthonic. Séduit par le défi, celui-ci accepte de reprendre en mars 2018 toutes les parts (sauf une) de Philippe Grafé, mais toujours en association avec Fabrice Wuyts. Son frère Pierre-Marie reprend quant à lui le marketing et la vente, et Emmanuel, frère de Fabrice, rejoint également l’équipe.
Virage et modernisation
Les choses vont alors évoluer très vite. Jean-Bernard fait en effet appel à Eric Boissenot, œnologue bordelais de renommée internationale, pour revoir avec eux les assemblages et les cuvées qui vont bénéficier, pour certaines, d’un élevage en barrique de chêne. Ce que Philippe Grafé avait toujours refusé de faire.
La conversion à l’agriculture bio est finalisée dès 2019 et petit à petit, les quatre associés vont mener des travaux pendant plus de deux ans et demi.
« Notre objectif final, explique Jean-Bernard, était de faire la mise en bouteille nous-même, d’avoir un local pour les barriques et d’avoir la main sur tout. Pour cela, nous sommes allés par étapes afin de ne pas perdre le charme du domaine. Une ancienne étable de la ferme a été transformée, nous sommes revenus à la brique et à la pierre bleue, qui donnent de l’authenticité au lieu. Faire un hangar aurait coûté moins cher, mais ce serait dommage d’être la génération qui abîme le lieu. »
Si l’ambition des nouveaux propriétaires est de produire une gamme complète de vins en dessous de 25 euros, qui peut accompagner tout un repas, le vignoble originel est composé de 70% de cépages rouges sur 7ha contre 40% de blancs sur 3ha.
En 2020, une nouvelle parcelle de 4ha est dès lors acquise, à 10 minutes du Chenoy, pour y planter des cépages blancs et arriver à une parité de cépages.
« Nous nous sommes bien sûr appuyés sur les fondements, nous avons replanté ce qui marchait bien : solaris, johanniter et bronner, avec même une nouvelle variété pour le Chenoy, le souvignier gris, car c’est un des résistants qui permet beaucoup de choses et qui offre effectivement une bonne résistance. Le Château Ferrière à Margaux en a planté (hors appellation – ndlr), mais si des domaines comme celui-là s’y intéressent, c’est pas mal. »
« Le bilan est bien sûr positif, poursuit Jean-Bernard en chœur avec Eric Boissenot, car on arrive à avoir des complémentarités intéressantes. On ne peut toutefois s’appuyer sur aucun modèle, cela ne se fait pas comme cela, il faut accumuler de l’expérience et nous ne voulions pas spécialement continuer à faire la même chose. C’est un pari un peu fou et risqué, mais on peut déjà dire que le pari en valait la peine. Chaque millésime s’améliore, on peut sortir un peu des normes ou du prêt-à-penser, c’est passionnant. »
A déguster
La gamme actuelle assemblée par Eric Boissenot se compose de six vins
- Crémants : Perle de Wallonie en blanc et en rosé, tous deux à base de johanniter, bronner, souvignier gris (+ du regent pour le blanc)
- Vin blanc : Citadelle, assemblage de solaris, bronner et souvignier gris
- Vin rosé : Cupidon, assemblage de cabertin et de solaris (mon coup de cœur)
- Vins rouges : Terra nova (pinotin et rondo) et Grand Chenoy (100% pinotin), un vin indéniablement gastronomique.
Cette gamme se complète par une eau de vie de vins : Helixir, à base exclusive de muscat bleu.
Marc Vanel, 31/10/23
> A noter que le site web a été totalement revu : domaine-du-chenoy.com, vous y trouverez la liste des points de vente.