Pour terminer ce tour de Wallonie, l’expérience des vignerons liégeois et luxembourgeois sur un millésime contrasté. Avec un détour par Torgny en province de Luxembourg.
A Heure-le-Romain
Solaris et Muscaris au top, Vin de Liège prévoit de beaux crémants 2019. « L’année n’a pourtant pas été évidente, confie Alec Bol, avec un printemps pluvieux, un été sec, puis à nouveau de la pluie à l’automne. Au printemps, une de nos six parcelles a gelé à 50%, mais heureusement nous n’avons eu aucun dégât sur les autres. Par contre, durant la canicule estivale, nous avons eu des dégâts sur tous les cépages rouges brûlés par le soleil (ce que l’on appelle l’échaudage).
De manière générale, la maturation des raisins a été très lente, et les pluies incessantes de septembre et octobre n’ont pas arrangé les choses. Tout ce qui a été ramassé avant le 15 septembre est correct. Tous les crémants sont impeccables, avec de beaux Solaris et Muscaris, des cépages plus précoces. Nous avons attendu jusque fin octobre pour le Johanniter et le Souvignier gris pour avoir les meilleures maturités. Notre dernière cueillette s’est déroulée le 6 novembre. »

Vin de Liège
A Warsage
Non loin de là, mais plus au nord, le Domaine des Marnières à Warsage a vu sa production fortement se réduire en 2019, comme l’explique Benoît Heggen. « Plusieurs facteurs selon moi entre en ligne de compte. Tout d’abord, on suit 2018 qui était un millésime chaud et sec. Les vignes ont produit leurs raisins, certes, mais avec le manque d’eau, les bourgeons initiés cette année sont moins riches en fleurs, et donc en raisins . Moins de production au départ donc. Ensuite, il y a eu les difficultés climatiques que l’on connaît : grêle en mai, sécheresse, millérandage et, phénomène exceptionnel, trois journées avec des températures avoisinant ou dépassant les 40°C. Brûlures et échaudures assurées. Un tiers des grappes ont été atteintes. Second facteur de diminution de la production.
On est resté sur millésime sec au moment de l’évolution des grappes sur les cépages précoces : manque de jus. Et enfin, pour les cépages vendangés plus tard, la pluie a bousculé la maturation; pourritures et vendanges au coup par coup, donc encore une diminution de production. Bref, on se retrouve avec une production du tiers de 2018, mais celle-ci était supérieure de 50% par rapport à 2017. »
Une bonne nouvelle dans tout cela : Benoît Heggen sort deux crémants ces jours-ci, tous deux issus de vignes plantées en 2004 : Brume d’Automne rosé (Chardonnay 97,5% et le reste en Pinot noir) et un Blanc de blancs 100% Chardonnay, tous deux réalisés par le vigneron et dégorgés à la coopérative Vin de Liège. A priori, ce sera un zéro dosage.

Le magnifique vignoble des Marnières à Warsage
A Huy
Des infos en provenance de trois domaines à Huy.
Le Clos (historique) du Bois Marie a été racheté l’an dernier, mais le trio qui le gérait cultivait également plusieurs petites parcelles aux alentours (j’en ignore le nom). « A tous points de vue, la qualité et la quantité ont été au rendez-vous, explique Alain Dirick au nom de ses deux associés. Il est vrai que les dernières pluies ont dilué le raisin mais esthétiquement, il avait l’air très correct et sans botrytis. Nous avons fait une vendange exceptionnelle. Sauf dans certains cépages à Huy qui avait eu du folletage (déséquilibre entre la quantité d’eau absorbée par les racines et la quantité d’eau évaporée par les feuilles- ndlr) en 2018 à cause de la sécheresse. » A Verlaine, où Alain Dirick a planté deux hectares en mai 2016, 15 tonnes de chardonnay et 30 de Johanniter ont été récoltés, mais ceux-là sont revendus à d’autres vignerons.

Le trio « ex-Bois Marie »
Juste en contrebas des parcelles précitées, le Clos Bois Marie a donc été acheté par le notaire Christophe Declerck qui rénove également l’ancienne maison de Charles Legot pour en faire un gîte. « 2019 est une année de transition au Bois Marie, commente son nouveau propriétaire, avec un passage au « bio » en douceur. Très peu de pulvérisations (deux fois cuivre et soufre combinés sur toute la saison) et très peu de maladies. Les traitements ont été faits suite à la constatation d’un départ de mildiou la première fois côté ouest et d’oïdium la seconde fois côté est. Nous laissons revenir l’enherbement indispensable pour stabiliser le sol et éviter l’érosion très importante. L’année a été très chaude et les vignes ont souffert. Le Muller Thurgau souffre et nous avons perdu de nombreux pieds. La récolte fut très maigre mais c’est un bon laboratoire pour un débutant. Il n’y aura pas de vin en vente avant plusieurs années, le temps de trouver nos marques. Je garderai probablement l’appellation Bois Marie qui est historique et que j’ai achetée en même temps que le vignoble. J’ai hâte d’être dans quelques mois pour déguster les premières bouteilles… »

Le Clos Bois Marie fut la demeure de Charles Legot dans les années 60
Un peu plus haut dans la chaussée, le Clos des Prébendiers a perdu près de 30% de sa récolte à cause de la canicule, comme l’indique Jacques Mouton. « Cette année a débuté par des gelées tardives et comme je commence a tailler très tôt (février), la vigne a vite débourré, mais comme j’avais fait des feux… avec beaucoup de fumée, j’ ai échappé aux dégâts. La production s’annonçait importante, comme en 2018, mais la suite n’a pas été un fleuve tranquille. Lorsque la sècheresse a commencé à faire sentir ses effets, certains pieds ont galéré et puis séchés. Ensuite, lors des quatre jours où il a fait plus de 40°C, j’ai perdu 30% des grappes qui ont littéralement grillé sur pied. J’avais mis un thermomètre qui a dépassé les 50°! Pour le reste, j’ai vendangé le 21 septembre et c’est ainsi que j’ai pu avoir un taux de sucre très élevé (12,5 de moyenne), une qualité exceptionnelle, pas de maladie, pas de botrytis… bref un raisin sain. »
A Vaux-sous-Chèvremont
« J’avais toujours dit « si un jour je suis vigneron, je vendangerai le dernier » et je tiens promesse ! » s’exclame avec jubilation Jean Galler. Les premiers raisins ont en effet été vendangés… le 23 octobre, et encore, seulement 20%. « Le 23 octobre dernier, nous avons vendangé les premiers raisins. Merlot, Savagnin, Cot, Chasselas et Romorantin, ce qui représente seulement 20 % de notre production. Le 29 octobre, deuxième étape avec les Chardonnay, Pinot blanc, Pinot noir, Sylvaner, Roussanne et Furmint. Il nous reste la moitié à vendanger d’ici fin novemvre. Il est assez étonnant de commencer par les Merlot et Cot qui sont des cépages rouges du sud avant la plupart des blancs ! Et oui, il y a la théorie et la pratique, mais au domaine Septem Triones, celui qui décide c’est la maturité phénolique. En quantité, nous aurons moins que l’an dernier. Pour la qualité, ce 2019 sera tout simplement « autre chose que le 2018 ». Autant 2018 était dans l’excès, autant 2019 sera dans l’harmonie. Les derniers cépages seront récoltés plus tard; j’espère que ce sera comme en 2015: la fin des vendanges en décembre ! »

Tri minutieux au vignoble Septem Triones de Jean Galler
A Ans
Déception pour Salvatore Carvona sur les hauteurs de Ans, non loin de Liège pour Les Coteaux de la Légia : « Le millésime 2019 n’est pas à la hauteur de 2018. Nous avons souffert du millerandage et de l’échaudage dû aux canicules. La qualité est moindre. Le taux de sucre est globalement inférieur et au niveau des volumes, un bon tiers en moins pour un résultat final d’un petit millier de litres de vins. »

Ambiance familiale pour les vendanges du Domaine de la Bouhouille
A Blégny
Beau succès pour le jeune Domaine de la Bouhouille à Saint-Rémy (Bégny) qui produit deux jolis crémants, dont un « pet-nat ». « Cette année, c’était notre deuxième vendange, confie Nicolas Ferrara, et tout s’est parfaitement déroulé, dans une ambiance familiale avec de nombreux coopérateurs. Superbe ambiance malgré le temps, on est passés entre les gouttes… Aucun dégât, la qualité est parfaite, avec un rendement de 50hl/ha, c’est parfait pour nous… »

A Torgny (archives)
A Torgny (prov. de Luxembourg)
Enfin, clôturons ce tour de Wallonie par un détour à l’extrême sud du pays, à Torgny, pour le Poirier du Loup et le Clos des Fouchères. « L’année 2019 est un bon millésime pour les vignobles de Torgny, rapporte Daniel Dries, impliqué dans les deux vignobles, l’année 2018 ayant été exceptionnelle. La grande différence, ce sont les gelées de début mai provoquant certains dégâts, plus particulièrement la nuit du 4 au 5 mai où il a fait moins 4,5° à Torgny. Les bourgeons étaient déjà bien sortis et les jeunes vignes, comme d’habitude, plus précoces par rapport aux plus vieilles en ont subi les conséquences.
La floraison s’est faite autour du 20 juin dans de très bonnes conditions, au lieu du 9 en 2018, mais soyons content, car en 2013, elle a eu lieu le 5 juillet. Pendant les mois d’été très chaud, tout a été parfait, pas vraiment d’attaques de maladies et donc peu de traitements en bio et une récolte durant la seconde quinzaine de septembre avec une qualité et une maturité remarquables pour nos vins bio (12,5° naturel). Du coté quantitatif, c’est exactement 50% de l’année dernière, aussi bien dans les rouges que dans les blancs, donc c’est une bonne année très qualitative. »
Dernier épisode : Vendanges en Flandres (5/5)
Marc Vanel, 7/11/19