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Réalisant son vin avec les raisins de ses propres vignobles, Patrick Nijs a ouvert en juin dernier au cœur d’Anvers, la « Wijnfaktorij – Urban Boutique Winery », un lieu attachant qui mêle vinification, dégustation et vente.

 

Après Gudule lancée à Bruxelles en 2019 par Thierry Lejeune (qui fut d’ailleurs élève viti-viniculture de Patrick Nijs au COOVI-CERIA), voici donc une seconde « urban winery » en Belgique, en plein centre d’Anvers, à deux pas de la Cathédrale Notre-Dame dans une petite rue piétonne.

Un lieu ouvert depuis le mois de juin seulement, où Patrick a décidé de recentrer ses activités, faute de place disponible dans les caves de sa maison située… de l’autre côté de la rue.

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De l’édition au vin

Organisateur de promenades culinaires dans la métropole anversoise, Patrick Nijs a édité de 2001 à 2011, le magazine « Out in Antwerp », qui sortait deux fois par an et qui donnait les meilleurs adresses de restos, mais aussi des commentaires de vins ou de bières…

« A l’époque, on était seuls à faire cela, explique-t-il. Mais après dix ans, au lieu de continuer à parler de vin, j’ai eu envie de l’apprendre et de développer un vignoble. J’ai donc suivi des cours à l’Université du Vin de Suze-la-Rousse (France), puis au WSET pendant 7 ans, où j’ai atteint le niveau 4. Maintenant je suis même sélectionné pour les études de Master of Wine à Londres. Cela va me prendre encore quelques années…

En 2011, j’avais déjà planté une quarantaine de pieds de vignes à Maaseik, mais lors d’un stage chez Maurice Fol dans le cadre de ma formation à Syntra, celui-ci m’a fait comprendre qu’il fallait voir plus grand. Je suis donc passé à 350 pieds.

J’ai beaucoup appris, car c’était tout sauf évident. J’avais planté du Pinot noir, du Chardonnay, du Dornfelder et du Müller-Thurgau, mais je les ai rapidement remplacés par des cépages résistants pour avoir plus de flexibilité et surtout ne pas avoir de maladies dès qu’il faut trop chaud. J’ai choisi Johanniter et Solaris en blanc, Monarch et Cabernet Cantor en rouge. Aujourd’hui, cette parcelle existe toujours et je fais un peu de rosé en mélangeant tous les raisins dans la cuve… »

© Wijnfaktorij

Crasse de fer

Aujourd’hui, le vignoble principal est situé à Tielt-Winge, sur le Houwaartse Berg, non loin d’Aarschot dans le Brabant flamand. Un hectare composé d’Acolon, de Pinot noir et de Dornfelder, qu’il a racheté à un viticulteur qui n’en tirait que quelques bouteilles, et qui sera complété en 2021 par deux autres hectares car suite à l’ouverture de la Wijnfaktorij, la demande ne cesse de croître.

« Après cinq ou six ans à Maaseik, j’avais vraiment envie de faire plus, j’ai donc racheté un hectare sur le Houwaartse Berg, à côté de Rik Daems, Eiken Vat, Ten Gaerde,… on est sept ou huit là-bas. C’est étonnant, mais le sol regorge de crasse de fer, comme à Pomerol. Je suis convaincu que cela peut donner un vin rouge jamais vu en Belgique.

On a là un véritable mésoclimat, avec les vignes entourées par les bois, il fait toujours beau et l’assemblage des trois cépages donne quelque chose de vraiment original : le Dornfelder apporte le fruit, la cerise noire, le Pinot noir la structure et la longueur et l’Acolon les épices (c’est un peu la Syrah du nord…).

Je fais deux récoltes, une relativement tôt pour avoir de la fraicheur et de l’acidité, et une plus tard lorsque les baies sont très mûres, presque noires. Le vin a vraiment beaucoup de structure et de richesse. C’est à mon avis une base parfaite pour un vin rouge qui est rare en Belgique. »

Steenkuyl wolff – © P. Nijs

Retour à Anvers

Jusqu’à présent, les raisins cueillis arrivaient dans les caves de Patrick, mais cela se fera dorénavant à la Wijnfaktorij qui, soit dit en passant, comporte une longue vitrine permettant aux curieux de suivre le processus.

« Je veux travailler le plus simplement et le plus naturellement possible, pas de pompe, pas d’électricité, je monte les cuves avec un transpalette pour que cela se fasse par gravité. J’ai une petite presse hydraulique avec une pression de 2 bars, et je récupère l’eau pour nettoyer les cuves. Rien n’est perdu. »

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Que des « chansaar »… © Vanel

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Plusieurs vins sont élaborés, sous le nom de « Chansaar » et « Kontreir », mais la formule varie d’une année à l’autre, notre vigneron est en pleine expérimentation.

« Le Chansaar blanc est un assemblage de Solaris, Phoenix et Orion. En 2016, j’ai élevé le vin dans une petite barrique de 60 litres, mais cela ne s’intègre pas du tout. En 2017, j’ai joué avec les levures et j’ai laissé un voile se développer dans la cuve, cela donne un léger goût oxydatif très agréable. Mais en 2018, année où je n’ai pas traité du tout, c’est encore différent, car j’ai ajouté du Pinot blanc et du Pinot gris pour gagner 0,5% d’alcool (je n’arrivais qu’à 8%) et en 2019, j’ai gardé le Solaris pour faire un vin orange. Et comme je viens de planter du Riesling, cela va encore changer… »

Floral et frais

Retour aux cépages classiques avec le Chansaar rouge, assemblage de Pinot noir, Dornfelder et Cabernet Dorsa, qui séjourne neuf mois en barriques, françaises pour le Pinot noir et américaines pour les deux autres variétés.

Le nez est très expressif, beaucoup de violette, la bouche est assez douce, avec des tanins qui demandent encore à s’arrondir et une finale très épicée assurée par le Cabernet Dorsa.

« Il faudrait attendre quelques années, mais cela se boit déjà maintenant, estime Patrick, c’est floral, avec des épices et de la fraîcheur, c’est vraiment ce que je veux faire en rouge. »

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Non interventionniste et vegan. Et seulement 12,5% vol. alc. – © Vanel

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« Pour Kontreir I, j’ai cherché les limites en ne ramassant que lorsque les fruits étaient très mûrs, très noirs, mais en ayant encore de la fraîcheur. Comme exemple, je prends toujours les vins autrichiens de Zweitgelt ou de Sankt-Laurent, mûrs mais frais. »

Comme il n’y a que 456 bouteilles de Kontreir I, le prix est le double de celui de Chansaar : 42 euros ! « Oui, mais c’est incroyable, cela se vend comme des petits pains. Mais bon, il y a aussi une autre bouteille, un autre emballage et c’est surtout un vin de garde qu’il ne faut vraiment pas ouvrir demain… Et on ne peut acheter qu’une bouteille par personne… »

Pas d’appellation possible

En vinifiant à Anvers des raisins qui ont grandi dans le Hageland, Patrick Nijs perd tout droit à une appellation, mais, reconnaît-il, « cela ne m’intéresse pas beaucoup. Y a-t-il vraiment de grandes différences en Belgique d’une appellation à l’autre, je ne pense pas, c’est le vigneron qui fait la différence. Et aussi la variété des cépages. Peut-être un jour, y aura-t-il une appellation Houwaartse Berg ? Parce que cela, c’est vraiment la différence. »

A côté de ces trois vins, De Wijnfaktorij produit aussi un rosé (en rupture de stock), un Pet-Nat rosé (pétillant naturel) et Ruby from Antwerp, un vin de Regent, passerillé sur souches et ramassé fin octobre (!!), qui est muté sur grains avec un alcool maison avant de séjourner dix-huit mois en barrique et d’être assemblé « en solera » sur quatre millésimes déjà.

Un truc de fou avec 18-19% d’alcool et 50 grammes de sucre résiduel dont il ne tire pour le moment, que 100 litres. Un chocolatier parisien a souhaité lui acheter le stock pour accompagner ses produits. Enorme.

Enfin, pour être complet, signalons un vin de type rancio, vestige de quelques dame-jeannes de Phoenix-Solaris-Orion oubliées dans la grange de sa mère et dont il ne reste que 30 litres. Excellent mais forcément impayable ! Une visite s’impose…

> L’adresse : De Wijnfaktorij, Vleminckstraat 6, 2000 Antwerpen, wijnfaktorij.be

Marc Vanel, 29/08/20