Portée par les grands groupes brassicoles, la consommation de cidre vit une véritable mutation ces dernières années, avec des produits en constant renouvellement. En Wallonie, à Aubel, la cidrerie Stassen est l’un des leaders mondiaux du secteur. Elle est depuis 2012 le « Cider Innovation Center » du géant néerlandais Heineken.
Agriculteur, apiculteur et bourgmestre d’Aubel jusqu’en 1929, Léon Stassen réalise dès 1895 du cidre artisanal pour sa consommation personnelle avec les pommes de ses vergers. Le succès aidant, il commence à les commercialiser dans la région d’Aubel. Plus tard, en 1931, son fils, prénommé Léon lui aussi, crée une cidrerie professionnelle au cœur du village. L’entreprise ne va cesser de prospérer, le cidre étant alors une alternative au champagne, trop cher et trop rare.
En 1944, Jean Stassen reprend l’entreprise et va s’entourer de ses trois fils, Jean-Pierre en 1979, et Philippe et Luc en 82 et 83. Ensemble, ils vont créer de nouvelles recettes et surtout introduire en 1987 les cidres fruités (pêche, lychee, fruits des bois,…) et en 1991, le premier véritable cidre sans alcool, décliné en plusieurs variantes, sous la marque Degré Zéro. Le succès est immédiat. Entre 1987 et 1992, le marché des cidres passe de 4 à 12 millions de litres, dont 65% sont produits par Stassen !
En 1992, Jean Stassen prend sa retraite. Pour accroître sa notoriété et se développer au plan international, la société aubeloise décide alors d’intégrer le groupe anglais HP Bulmers qui est encore aujourd’hui le leader mondial dans la production de cidres. Deux ans plus tard, Stassen crée un nouveau segment dans les boissons sans alcool et lance ce qui va devenir une véritable marque-phare: Kidibul, la boisson festive par excellence pour les enfants.
En 2003, la saga des reprises connaît un nouvel épisode avec le rachat de HP Bulmers par le groupe S&N (Scottish & Newcastle), 3e brasseur européen propriétaire alors d’Alken Maes, de Foster ou de Kronenbourg, qui lui même sera racheté en 2008 par Heineken et Carlsberg. Devant les démantèlements du groupe S&N par ces deux géants, la famille Stassen rachète les parts avant de les revendre complètement en 2012 à Heineken.
Innovation
En 2014, Philippe Stassen rachète à Heineken les marques Kidibul, Vintense (vin sans alcool) et Vivaro (vin aromatisé) et crée sa nouvelle société Neobulle. Luc Stassen étant déjà sorti fin 2012 pour reprendre une société de négoce en textile (il a toutefois réintégré la société en 2016 en tant qu’expert packaging), Jean-Pierre se retrouve seul représentant familial dans la cidrerie Stassen et est nommé à la tête du Heineken Cider Innovation Center.
« Aujourd’hui, explique Jean-Pierre Stassen qui nous accueille dans le tout nouveau bar de réception, nous sommes devenus le Centre d’Innovation Cidres d’Heineken, l’entreprise aubeloise emploie désormais 110 personnes dans les chaînes de production (contre 14 en 1979 quand je suis arrivé) dont 10 dans le centre d’innovation. En 2016, la production totale s’élevait à 45 millions de litres dont 40 millions de cidres. »
On le sait peu, mais les activités de la société néerlandaise Heineken s’axent sur deux piliers: la bière bien sûr (numéro 2 mondial avec 270 millions d’hectolitres par an), mais aussi le cidre qui représente pour elle un produit stratégique. Elle possède diverses usines dans le monde qui produisent des marques que vous connaissez sans aucun doute et qui sont classées en trois catégories. Les cidres dits « Accessible Premium » tels que Strongbow (le cidre le plus vendu dans le monde) et Apple Bandit (aussi appelé Orchard Thieves), les « Premium » avec Bulmers ou Old Mout et les « Super Premium » avec la gamme Stassen.
La quasi totalité des recettes de ces cidres sont sorties du laboratoire de Stassen et de son unité-pilote qui mis au point en 2016 près de 50 nouveaux produits dont les 2/3 seront réellement commercialisés et qui correspondent aux goûts et aux législations des pays de destination. Sur base de ces recettes, le cidre est actuellement produit par Heineken dans 11 pays, dont le Nigeria, l’Afrique du Sud ou Singapour. Stassen produit également Strongbow pour les Etats-Unis et Strongbow Cherry Blossom pour Taïwan.
Pour sa production, Stassen exploite 150 hectares de vergers de diverses variétés de pommes à cidre à Aubel, en province de Liège ainsi que dans les Ardennes françaises. Il s’agit de petites pommes très amères, avec beaucoup de tannins, qui ne sont pas destinées à la table. Celles-ci sont complétées par des pommes culinaires provenant de vergers principalement de Belgique et des pays voisins.
Retour à l’origine
Bénéficiant de l’entière confiance (et des moyens) du groupe Heineken, dont il connaît personnellement la famille encore détentrice de 52% du capital, Jean-Pierre Stassen est fier d’annoncer que la société se recentre aujourd’hui sur son produit d’origine, la pomme. « Nous voulons revenir au cœur du métier, confie-t-il, tel que mon arrière-grand-père l’a commencé, avec la pomme au centre du projet et produire un cidre traditionnel de haut de gamme. Pour marquer cette évolution, nous avons revu notre packaging depuis un an, avec un label plus classieux qui vient d’ailleurs de gagner une médaille d’or en Floride, et resserré nos produits, surtout à l’international. La production des cidres aromatisés de la marque Stassen est d’ailleurs désormais réservée à la Belgique. »
La nouvelle gamme se compose aujourd’hui d’un Cidre brut, d’un Cidre Cuvée Rosé (préparé à partir de pommes à chair rouge, pour lesquelles Stassen poursuit les recherches de création de nouvelles variétés en collaboration avec le Centre wallon de recherches agronomiques (CRA-W)), de deux Cidres de l’Abbaye du Val-Dieu (blond et brun), d’un Cidre Grand Cru du Pays d’Aubel, d’un Cidre de Glace (à partir de jus purs congelés) et, bientôt, de deux Cidres tranquilles. Certains de ces produits sont déjà en vente dans la grande distribution ainsi que dans des cafés et restaurants régionaux. Ils sont une véritable alternative aux boissons effervescentes plus alcoolisées et surtout au prix plus élevé.
Article publié dans Wallonie Magazine – WAW en mars 2017