La dégustation récente d’un excellent vin de Thierry Germain m’incite à ressortir une interview réalisée en juin 2018 lors de son passage à Bruxelles et publiée en son temps sur le site de Vino. Bonne lecture.

Repris en 1992 par Thierry Germain, le domaine des Roches Neuves à Saumur-Champigny est aujourd’hui la figure de proue de la biodynamie dans la Loire et figure parmi les cinq meilleurs domaines. Son credo : les vins de sélections parcellaires et deux cépages uniquement : le Cabernet franc en rouge et le Chenin en blanc.

Créé en 1850, le domaine des Roches Neuves a longtemps été la propriété de Denis Duveau, élève d’Emile Peynaud et de Jean Ribéreau-Gayon, deux œnologues considérés comme les pères de l’œnologie moderne et promoteurs de l’idée de vendanges parcellaires, seule manière selon eux de rendre au mieux la vérité du terroir. En 1991, alors qu’il venait de geler, Denis Duveau jette le gant et appelle Thierry Germain à Bordeaux qui s’apprêtait alors à partir en Hongrie. Changement de direction donc et installation de notre vigneron à Varrains, en appellation Saumur-Champigny pour le vin rouge et en Saumur pour le vin blanc.

Au départ, il loue les terres de Duveau (qu’il rachètera 20 ans plus tard) et décide de se former à la biodynamie avec François Boucher, l’un des plus importants consultants du vignoble français. « J’ai réussi à être son dernier élève, explique Thierry Germain, car je l’ai vraiment harcelé pour qu’il accepte de me former. Il m’a fait venir à 6h du matin dans le vignoble avec une chaise, m’a fait asseoir et m’a demandé ce que je voyais. Je lui ai répondu que je voyais des pieds de vigne et des raisins… Il m’a alors expliqué qu’il fallait voir le végétal, le reconnaître. Voir la feuille qui suit le soleil d’est en ouest, et la grappe de raisins qui se cache derrière chaque feuille. Il m’a aussi expliqué que l’on ne pouvait pas faire du bon avec du beau et que cela ne servait à rien d’avoir des vignes ultra propres comme dans certains vignobles bordelais… »

Son voisin le plus proche est le Clos Rougeard, un domaine mythique de dix hectares exploité par Jean-Louis Foucault, dit Charly, jusqu’en 2015, année de son décès. Les deux hommes sympathisent et se côtoient, Charly devient même le parrain du fils de Thierry, mais ils ne travailleront jamais ensemble. Ils échangent régulièrement sur le matériel végétal et sur les longs affinages des vins en barrique.

Thierry Germain va donc (re)construire ici un vignoble de 26 hectares de Cabernet franc et de 2 hectares de Chenin, répartis en 61 parcelles, chaque cuvée étant issue d’une seule parcelle ou de deux maximum. « Nous avons entrepris une étude géologique approfondie pour vérifier si le sol était bien en phase avec le bon sens vigneron », précise-t-il et, avec Lilian Bérillon, il recense sur 20 ans 241 plants avec lesquels il forme un conservatoire de cépages pour développer ses sélections massales de cépages.

« Il faut aller dans le sens du cépage. Le Cabernet franc n’est vraiment considéré comme grand cépage que depuis 5 ans. Le terroir, le fruit et l’homme doivent s’associer pour donner naissance à un grand vin, c’est le terroir qui doit être porteur de l’amertume du vin et non le bois. D’autres régions amènent le Cabernet franc à la surmaturité mais, comme pour les humains, quand on est trop mûr, on se flétrit et on meurt. Pour moi, l’alcool n’est en rien une référence pour déterminer la maturité d’un vin, certains ont 15° et ne sont pas mûrs pour autant. En 2008, j’avais 14 degrés d’alcool, et seulement 12 aujourd’hui. Pour moi, la notion d’émotion est centrale. Il faut jouer sur la texture et non sur la matière pour donner de la finesse et de la densité. La base de notre travail est autour de la vérité. La terre nourricière couve la vie. Ce cordon maternel est l’objet de toutes les attentions pour que le végétal s’élance enfin vers l’air et la lumière, son énergie vitale. »

Pur et floral

Le travail gigantesque entrepris dans les vignes est récompensé par une gamme de vins purs et très digestes, des vins à faible rendement qui se vendent entre 13 et 40 euros la bouteille chez Vins Pirard en Belgique. (A noter que le millésime suivant est évidemment sorti entre-temps).

En blanc sec tout d’abord, la cuvée Insolite (Saumur blanc) qui va, dès 1995, trancher sur les vins de base et autres moelleux qui constituent alors le principal de la production ligérienne. « 2016 a été un millésime très précoce, précise Germain, qui a été ramassé sur le vert jaune et qui donne un vin cristallin et croquant. L’équilibre de la plante et du sol permettent une récolte plus précoce, la maturité est gagnée avant l’escalade des degrés. Et si je n’ai pas les poils, je ne vendange pas. De manière générale, je veille toujours à garder la verticalité des vins, je ne cherche pas à nourrir par les lies. Pour moi, l’équilibre est plus important que la maturité. »

En rouge, Terres chaudes Saumur Champigny 2015 est d’une belle pureté également, fluide et délicieusement poivré, soyeux, reflet de son terroir argilo-sablonneux à dominante calcaire. « C’est le vin le plus facile que j’ai fait, explique-t-il, et le plus « cabernet » aussi. Depuis 2000, j’ai arrêté la concentration des vins et on voit que cela donne aujourd’hui des vins tendres. Le vin est élevé an sur lies fines en cuve bois de 60 hl et 12 hl ovale qui ont été construites sur place, du temps où Charlie était encore vivant. Elles proviennent de la forêt autrichienne. Ni filtration ni collage avant la mise en bouteille. »

Les autres cuvées sont à la hauteur de celle-ci et illustrent parfaitement la notion de maturité minérale cherchée par Germain. Les Mémoires 2016 issu d’un terroir de silex planté en 1907 est splendide, le Clos Echelier d’une texture incroyable et d’une étonnante salinité, Marginales en 2015 et 2012, n’est produit que sur les grands millésimes tandis que le Franc de Pied 2016 est totalement bluffant. Soyeux, finesse, le végétal prend le pas sur le sol et s’affranchit du filtre du porte-greffe. Irréfutable.

Le succès de la biodynamie

Pourquoi la biodynamie est-elle un tel succès dans la Loire ? Pour Thierry Germain, « le foncier est encore accessible chez nous, cela a permis à de nombreux vignerons de venir s’installer et d’avoir une réflexion sur le végétal. De nombreux pionniers de la biodynamie comme Marc Angeli ou Richard Leroy ont permis cette ouverture d’esprit. La Loire a selon moi un climat prédestiné, cette douceur angevine, des cépages qui sont peut-être un peu moins fragile que les autres, mais je pense que cela vient surtout des hommes et des femmes qui ont cette conviction, cette philosophie, cela vient surtout de là. Grâce à des gens comme François Boucher, Antoine Lepetit chez Leflaive ou Nicolas Joly, désormais, là où on parle de biodynamie, on parle de la Loire… ».

En vente dans les cinq magasins de Vins Pirard à Genappe, Grez-Doiceau, Rochefort, Gerpinnes et Nivelles. Infos : vinspirard.be

Marc Vanel, entretien en juin 2018 republié le 18/06/20