Récit en deux épisodes du tour réalisé en juillet dernier de 3 AOP du nord de la Corse: Coteaux du Cap-Corse, Patrimonio et Corse – Calvi. De très belles découvertes…

“La Corse, île aux multiples vallées, est une des plus vieilles terres à vigne du monde”, peut-on lire dans un rapport présenté en 1984 par Christian Imbert (Domaine de Torraccia) à l’Académie internationale du Vin à Genève. La vigne aurait été importée par des navigateurs grecs du 6e siècle avant notre ère du côté d’Aleria, dans l’est de l’île qui a été successivement appelée “Kallisté” (la très belle), puis Kersica (la rocheuse), puis Korsia avant de devenir Korsica, et Corsica, bien sûr.

Le général Scylla y installe une colonie romaine en 94 AC, dont les membres vont perpétuer la culture de la vigne introduite par les Grecs. Celle-ci va doucement migrer vers le nord, vers le Cap-Corse au dessus de Bastia, puis autour de Patrimonio, ainsi qu’en Balagne (Calvi, Lumio).

En 756 PC, Pépin le Bref fait donation à la Papauté de toutes les provinces d’Italie, dont la Corse qui sera aussi brièvement française au XVIe siècle, puis partiellement indépendante  avant d’être cédée par la république de Gênes à la France en 1768 lors du traité de Versailles. En 1794, peu après la Révolution française, le “Plan Terrier” mentionne dans le cadastre de la Corse 9800 hectares de vigne (pour 28.000 en 1975 et 5700 aujourd’hui).

Alors que les réformes de Napoléon battent leur plein, un décret impérial du 24 avril 1811 supprime la perception des droits indirects en Corse dans le but d’alléger le coût de l’administration fiscale sur l’île. Outre des dispositions concernant la fiscalité du patrimoine, il n’y a plus non plus d’impôts indirects sur les vins produits dans l’île. Aujourd’hui encore, les vins corses sont exempts de TVA pour autant qu’ils soient consommés surplace. Un fameux incitant.

© CIV Corse

Sans pouvoir retracer toute l’histoire de l’île de Beauté ni détailler la lutte du FNLC et ses fameuses “nuits bleues” (la couleur des explosions), il est important de mentionner une page essentielle du développement de l’île: la décolonisation en Algérie et l’arrivée massive dans les années 60 et 70 de plus de 15.000 “pieds noirs”, dont la moitié sont des agriculteurs et d’anciens viticulteurs.

Ceux-ci vont développer les plantations sur la côte orientale en Haute-Corse et recréer un vignoble proche de celui qu’ils ont quitté, avec de gros rendements. C’est là que l’on trouve aujourd’hui les grands vignobles des coopératives.

Au-delà de cela, vont alors s’affronter deux courants de production: le vignoble traditionnel, très rural qui va revendiquer l’AOC et qui sera, à partir de 1976, le seul à pouvoir porter le nom de “vins de Corse”, et le “nouveau” vignoble, producteur de vins courants et moins qualitatifs.

Italie ou France?

Même si ces quelques lignes ne suffisent pas à appréhender toute l’histoire de l’île, elle permettent toutefois de mettre la production de vins en Corse aujourd’hui en perspective et d’en comprendre certains éléments.

Les origines italiennes, tout d’abord, que l’on retrouvent dans de nombreux aspects de la vie locale, ne fût-ce que dans l’accent de certains. La France devient ici “le Continent” et les influences des vins sont franchement plus proches de la Botte que de l’Hexagone (la Haute-Corse est d’ailleurs sur la même longitude que le sud de la Toscane).

Dans le nom des variétés de raisins par exemple. En blanc, le Vermentinu représente 17% des surfaces plantées et est le cépage principal de toutes les AOC corses blanches. D’autres cépages, autochtones ou non, peuvent le compléter, comme le Biancu Gentile, l’Ugni blanc ou encore le Codivarta.

Dans les secteurs du Cap Corse et de Patrimonio, le Muscat à petits grains pousse sur des coteaux escarpés et permet d’élaborer le Muscat local, plutôt doux.

En rouge, deux variétés dominent. Le Nielucciu couvre en effet 35% du vignoble corse, il est ampélographiquement identique au Sangiovese, un cépage italien toscan. Il est un peu plus rustique que le Sciaccarellu, un cépage noir spécifique à la Corse dont le nom signifie littéralement « croquant » ou « craquant ». On le retrouve dans tous les appellations corses pour les vins rouges et rosés. Son vin est peu coloré mais avec un fort potentiel aromatique.

Enfin, un autre cépage toscan complète ce trio : l’Aleatica, qui sert notamment de base à l’élaboration du Rappu, un vin doux naturel du Cap Corse. Certains viticulteurs expérimentent d’autres variétés, mais sortent alors leurs bouteilles sous IGP Île de Beauté, voire en « vin de France ».

 

A Erbalunga, l’Hôtel Demeure Castel Brando offre un havre de calme et de bien-être. 🙂

 

Au-delà de ces distinctions viticoles, lorsque l’on voyage dans le vignoble corse, on ne peut s’empêcher d’être frappé par la notion forte de la famille, avec le respect des parents et grands-parents et une vraie solidarité entre ses membres qui travaillent souvent ensemble. Les vignerons corses forment un collectif uni, et cela se sent.

Du nord au sud, on dénombre 295 producteurs de vin, dont 135 caves particulières seulement, réparties sur neuf appellations d’origine protégée et une indication géographique protégée. Au niveau de la production de vin, quelque 49 millions de bouteilles sont produites chaque année, dont 70% de rosés, 17% de rouges, 13% de blancs secs et liquoreux.

AOP Corse – Coteaux du Cap Corse

Après un atterrissage à Bastia et 25km de route vers le nord, notre voyage débute au Cap-Corse chez Christian Mons-Catoni, grand admirateur de Bonaparte (une autre constante de l’île) et ancien président du Groupement des industries françaises de défense terrestre. Il reprend en 2008 le vignoble ancestral Terra di Catoni et le restructure pour en faire une parcelle de 25ha d’oliviers et de vignes d’un seul tenant.

 

Christian Mons-Catoni – © Vanel

 

Pour se distinguer, il est le seul à produire un Sauvignon pur en Corse, mais aussi du Viognier ainsi qu’un excellent rosé de Sciaccarelu. Il vend sa production (15 à 20.000 bouteilles) dans plusieurs épiceries fines qui lui appartiennent et prépare un hôtel de 18 chambres avec oenothérapie (il a créé ses propres produits de beauté), un restaurant et des boutiques. Il faut reconnaître que la vue du haut de ses terrasses est majestueuse. La production évolue vers le vin nature.

Lina Venturi-Pieretti

Le même soir, nous avons pu déguster les vins de deux de ses voisins. Le Domaine Pieretti tout d’abord, à Luri. Déjà exploité au XVIe siècle, il a été repris par Lina Venturi-Pieretti qui le restructure radicalement après avoir perdu la moitié de ses vignes dans des incendies en 1989 et l’étend à 11 hectares. On y trouve notamment de l’Alicante que la vigneronne assemble avec du Nielucciu (et un peu de Grenache), mais aussi un très beau Muscat à Petits grains (le célèbre Muscat du Cap-Corse).

Ensuite, un incontournable de la région : le Clos Nicrosi, planté à Rogliano vers 1850 par Dominique Nicrosi et exploité aujourd’hui par ses descendants, Jean-Noël Luigi et ses enfants Marine et Sébastien.

Bio depuis 15 ans, le domaine a entamé sa certification pour appuyer son exportation. “Stecaja” est la cuvée phare du domaine mais le Blanc 100% Vermentinu se distingue par sa très belle acidité et sa persistance. Vente: doretdevins.com

A Seconde partie : AOP Patrimonio et Corse – Calvi

Marc Vanel, 19/9/21
Sur une invitation de Rouge Granit/CIV Corse