Créée en 2003, l’association des « Grandes Pagos – Grands crus d’Espagne » a fêté en 2013 ses dix ans, occasion qui m’a permis de rencontrer à la Foire nationale des vins d’Espagne (de 2013)  son président, Carlos Falcó, marquis de Griñon, l’un des pionniers de la modernisation de la viticulture espagnole et qui manie extrêmement bien le français.

Carlos Falcó, marquis de Griñon

Carlos Falcó, marquis de Griñon

« J’ai appris le français en Belgique, confie-t-il, j’ai en effet fait des études d’ingénieur agronome à Louvain « la vieille » dans les années 50. L’époque de Louvain était merveilleuse, j’étais très jeune, 17-18 ans, mais j’ai toujours gardé un très bon rapport avec mes compagnons d’étude qui ne travaillent pas dans le vin, mais plutôt dans des métiers en rapport avec l’agronomie, la chimie. Je suis allé ensuite à Davis en Californie pour me perfectionner. »

Aussi connu en Espagne pour avoir été l’époux de l’ex-femme de Julio Iglesias, Carlos Falcó est, plus sérieusement, considéré comme l’un des pionniers de la modernisation de la viticulture espagnole mais n’a pas opté pour l’omnipotent Tempranillo lorsqu’il plante autour de sa propriété à Dominio de Valdepusa, non loin de Tolède au sud de Madrid. « Le Tempranillo est en effet le plus planté en Espagne, poursuit le marquis, mais pas toujours à l’endroit qui lui convient. Car il donne sa meilleure expression, comme le Pinot noir, dans des climats assez froids et à 700 à 800 mètres d’altitude. Dans les parties plus hautes de la Mancha, cela marche, mais moi je suis à seulement 500 mètres et le Tempranillo de la région ne fonctionnait pas. Le Cabernet Sauvignon par contre est un cépage qui a besoin de plus de chaleur que le Tempranillo, je l’ai beaucoup étudié lorsque j’étais à l’université de Californie, à deux pas de la Napa Valley. Les Américains ne classent pas les vins selon le terroir, mais selon le climat. Le professeur Winckler a créé une table de 5 climats en Californie, de 1 à 5, du moins froid au plus froid. Pour le Cabernet sauvignon, il disait qu’il fallait un climat 3, ce qui est mon cas. En 1974, j’ai donc créé un vignoble de 14 hectares de Cabernet – le seul en Espagne – et cela a très bien marché. Dès le début, j’ai eu la chance de bénéficier des conseils d’Emile Peynaud, nous avons fait tous les premiers tests et la première vendange ensemble. »

Dans le même temps, il importe le système du goutte-à-goutte qu’il avait découvert en 1973 en Israël où cette technique était utilisée pour irriguer les cultures des colons. Aujourd’hui, quasi tous les vignobles d’Espagne et de Californie l’ont adopté.

En 1991, Carlos Falcó plante les premiers pieds de Syrah en Espagne, puis importe en 92 le Petit Verdot, alors très répandu dans le Médoc. « Peynaud me l’avait déconseillé, mais quand il s’est retiré,   il a cédé sa place à Michel Rolland qui est mon oenologue conseil, et nous l’avons planté. C’est le seul endroit du monde où le Petit Verdot est vinifié seul par Michel Rolland, alors qu’il fait des vins aux quatre coins du monde. »

En 2003, il crée avec d’autres, dont Victor de la Serna, l’association « Grandes Pagos » qui rassemble aujourd’hui 24 producteurs. « Avant cela, explique-t-il, nous étions en vin de table, la plus basse catégorie, nous n’avions pas le droit de mettre un millésime, ni le cépage sur l’étiquette, mais on contournait cette interdiction en racontant une petite histoire dans laquelle on glissait l’année et le nom du raisin. Finalement, on nous a permis de le faire. En 2002,  le gouvernement a fait une nouvelle Loi du vin et là j’ai fait un peu de lobbying et les Pagos ont été inscrits comme la plus haute catégorie des vins espagnols, au-dessus des DOC, Rioja et Ribera n’étaient pas très contents… »

Aujourd’hui, la crise économique frappe durement l’Espagne, elle a évidemment un impact sur le commerce du vin. « Oui, confirme C. Falcó, l’Espagne est l’un des pays qui souffre le plus de la crise financière, surtout dans le secteur immobilier. Le marché espagnol  pour les vins fins l’a ressentie, nous avons dû refaire plus d’exportations. Alors qu’il y a quelques années, nous étions à 50% de ventes en Espagne et 50 à l’export, nous sommes maintenant à 20/80. Et même à l’exportation, c’est beaucoup plus dur, surtout en Allemagne ou aux Etats-Unis. L’Europe traverse une époque de transition. Pour notre part, nous développons deux nouveaux projets. Le premier est la création en 2000 avec Claude Bourguignon (conseiller e.a. de Romanée-Conti, de Leflaive ou de Dagueneau) d’un vignoble de Graciano, un cépage comparable au Petit Verdot. Le second, c’est… l’huile d’olive. Nous sommes  dans une région traditionnelle d’huile d’olive. Du temps de mon père, l’huile d’olive était plus importante que le vin. J’ai lancé en 2000 ma propre marque, Oleum Artis. La plus importante Gilde italienne vient de nous donner 98% et la première place au classement mondial 2013, nous allons donc continuer à investir en ce sens. »

Plus d’infos : www.pagosdefamilia.es

Article publié en 2013 sur mon ancien blog