Vignoble en pleine expansion, la Wallonie est aussi terre de traditions préservées et alimentées par les confréries et autres associations qui sont souvent des acteurs très actifs du vin. Tour de piste.
La plus ancienne est située à Huy. Fondée en 1850 et constituée en 1922 en asbl, la Société royale horticole et viticole de l’Arrondissement de Huy a reçu au début du siècle dernier des subsides de l’Etat belge pour lutter contre les maladies de la vigne, dont le phylloxéra qui ne fit pourtant pas son apparition en Belgique. Jadis très active, elle compta jusqu’à plusieurs milliers membres aux environs de 1945. Pas tous vignerons certes, mais des gens passionnés d’horticulture, de jardinage et de viticulture.
Dans les années 1980-90, sous l’impulsion de Charles Legot, l’association redynamise sa section viticole qui rassemble au fil des ans une quarantaine de vignerons, dont les plus anciens (les « dinosaures », comme ils se surnomment entre eux) sont Jules Marquet (Clos de Leumont), Constant Seba (Clos Saint Hilaire), Richard Breulet, Michel Brasseur (Clos du Beau Rosier), Camille Delvaux (Clos du Roc) ou Roger Dupont (Clos des Terrasses), pour ne citer que ceux-là. On peut sans crainte de se tromper dire que ce sont ces hommes qui ont véritablement permis le redémarrage du vignoble mosan.
« Pour être membre, explique Michel Brasseur, vice-président actuel, il faut posséder des vignes ou s’engager à en planter prochainement. Qu’importe la quantité. Nos membres ont entre 30 et 3000 pieds de vigne pour une trentaine de vignobles environ, car les conjoints ou les enfants font parfois aussi partie de l’asbl. » Outre des séances de formation à la taille, à la vinification, etc., et des voyages dans des vignobles étrangers, la Société organise deux grandes fêtes annuelles pour honorer les patrons des vignerons que sont Saint-Martin et Saint-Vincent. Ils sont rejoints pour la circonstance par les trois derniers membres de la Confrérie du Vin du Perron (qui est en réalité à l’origine de ce souper annuel) et la Confrérie du Petit Bourgogne. A l’initiative de Jules Marquet, une Amicale des Vignerons se crée même en 1991-92 et les trois associations collaborent, avec la Ville de Huy, à « L’Eté du Vignoble Mosan » en 1992. Pour la première fois depuis longtemps, l’occasion leur est offerte de faire déguster leur production au grand public ! Le vin mosan existe à nouveau.
Même si elle perd un de ses leaders avec le décès de Charles Legot, en 2007, la Société perdure, change de local et des membres plus jeunes la rejoignent. En 2010, elle s’affilie à la Fédération des Sociétés horticoles et relance également ses activités originelles. Aujourd’hui, de nouveaux membres émergent et produisent des vins de qualité. Parmi ceux-ci, et outre évidemment les vins du Bois Marie, de Jules Marquet ou de Jacques Mouton, Marc Dewilde à Antheit ou Joël Petithan à Hamoir feront certainement parler d’eux dans les prochaines années, la relève est donc assurée.
Villers-la-Vigne, l’obstinée
« Pour entrer dans le petit clos de Villers-la-Vigne, sur le côté de l’abbaye, il faut pousser une porte métallique plutôt lourde, mais, attention, une fois ouverte, le vignoble devient une véritable nasse. Vous entrez, mais vous ne voulez plus en sortir, car on y trouve la densité de passion par mètre carré de vigne la plus élevée au monde… » En deux phrases, Christophe Waterkeyn a résumé la philosophie de Villers-la-Vigne: faire du vin pour le plaisir avant toute chose, mais c’est surtout le résultat d’un long cheminement.
Lorsqu’en 1990, un voisin de l’abbaye, Richard Kerner, décide de planter de la vigne à un endroit qu’il a repéré sur des vieilles cartes, il ne choisit pas la facilité. En effet, la parcelle choisie, sur le côté de cette abbaye cistercienne désertée par les moines depuis la Révolution française, est alors une véritable forêt.
Pour réhabiliter cette vingtaine d’ares répartis sur 5 niveaux ou terrasses, la Confrérie du Vignoble de l’Abbaye de Villers se crée pour faire revivre l’ancien vignoble certes, mais aussi, selon ses statuts, pour « créer l’alliance et la joie des membres par la réalisation en équipe des divers travaux et activités liés à la vigne et au vin » et « s’intégrer dans la mesure du possible à toutes les manifestations culturelles et touristiques développées sur le site et à l’entour de l’Abbaye de Villers et, par ses initiatives, de participer à la promotion du site de l’Abbaye de Villers ».
Pendant six ans, les premiers membres de la Confrérie, ils sont 120 à présent, vont défricher et désoucher 20 ares de terrain pour y planter en 1994 et 1996 des pieds de Léon-Millot, un vieux cépage teinturier aujourd’hui quasiment disparu. Mais le premier vin ne sera élaboré qu’en 2000, car les deux premières années, les lapins du quartier ont grignoté tous les raisins… Cinq ans plus tard, devant des résultats moyens, la confrérie arrache tout et replante 1000 pieds de Regent et de Phoenix, deux meilleures variétés de raisins qui commencent alors à se répandre en Belgique. Deux médailles seront même décrochées pour les Regent 2010 (argent) et 2014 (bronze) à un concours allemand dédié à ce cépage.
Aujourd’hui, 500 à 700 bouteilles sont produites, chaque membre en reçoit deux ou trois bouteilles et le solde est dégusté lors de fêtes à l’abbaye ou avec les vignobles jumelés de La Mazelle, Torgny et, depuis peu, Montmartre. En 25 ans, Villers-la-Vigne a beaucoup grandi. Véritable vulgarisateur de la viticulture en Belgique, il faudrait un jour retracer tous ses faits d’armes, Christophe Waterkeyn est fier de sa Confrérie: « Après ces 25 premières années, on peut dire que nous sommes adultes à présent, nous avons fait nos maladies d’enfance et beaucoup appris de nos erreurs. Notre cap actuel : devenir une vitrine de l’abbaye ouverte vers le monde extérieur ».
Buley et Plante: faire revivre la tradition
Le vignoble de Buley fut parmi les plus illustres vignobles namurois du XVe siècle et appartenait au Comte de Namur, à la Plante, à l’entrée de la ville. Son souvenir est entretenu par la Confrérie des Compagnons du Buley, et, depuis 1976, par l’Ordre de Saint-Vincent à Jambes.
Créée en 1966, la Confrérie des Compagnons du Buley, dont la médaille représente deux clés et une grappe de raisins, organise les Nuits du Buley le deuxième week-end d’août: plusieurs journées de fêtes, de brocante, d’animations sportives et folkloriques et surtout les joutes nautiques qui rassemblent chaque année un public incroyable. La Saint-Vincent est également un grand moment de réjouissance.
En 1976, les Compagnons du Buley s’associent avec la Confrérie de l’Ordre de Saint-Vincent, qui s’est constituée l’année précédente à Jambes, pour faire revivre une vieille tradition viticole dans une belle ambiance festive. En effet, du temps où le vignoble Saint-Martin de Buley appartenait au Comte de Namur, le pressoir le plus proche se situait sur l’autre rive de la Meuse et celui-ci appartenait au Prince-Evêque de Liège. Les vignerons devaient alors faire rouler leurs barriques sur le pont de Jambes et cette pratique a donné naissance à l’expression « Vigneroule » qui donnera ultérieure¬ment son nom à un petit vignoble de 12 ares de la Confrérie situé non pas en bord de Meuse mais à Jambes.
Planté en 1975, le Clos de Vigneroule compte aujourd’hui 900 pieds de Riesling, de Sylvaner, de Pinot noir, de Chardonnay et d’Auxerrois. Le résultat: plusieurs centaines de bouteilles de vin blanc, de floc et de ratafia qui, toutefois, ne se dégustent qu’une fois par an, lors des journées portes ouvertes annuelles de septembre. Trois membres de la Confrérie de l’Ordre de Saint-Vincent entretiennent le vignoble un à deux jours par semaine. Celui qui souhaite devenir membre de cette confrérie, est-il stipulé sur son site Internet, « doit montrer de l’intérêt aussi bien pour le travail de la vigne que les vendanges, le pressoir, la mise en bouteille, et les activités de promotion de nos produits », et être accompagné par deux parrains pendant un an avant d’être intronisé et recevoir les attributs de l’Ordre…
Dans la foulée, en 1983, les Compagnons de Buley décident eux aussi de relancer une activité viticole sur les coteaux de la Citadelle de Namur et replantent 20 ares à l’extrémité de l’ancien vignoble des comtes de Namur et l’appellent, très logiquement, Clos de Buley. Entretenue par une quinzaine de « compagnons-vignerons », cette parcelle est contiguë à la chaussée de Dinant et au Tienne Maquet. Elle comporte environ 600 pieds dont deux variétés de Pinot noir, le Précoce de Looz (150 pieds) et le Blauer Spätburgunder (idem), du Müller Thurgau (50 pieds), quelques pieds de Sieger, et, plantés en 2009 et 2010, 120 pieds de Solaris.
Les Cordeliers de Saint-Vincent
Cette autre association est très ancienne, elle aussi. Sa création remonte à 1965 avec Franz Lebon, comme président-fondateur à Ransart. Elle regroupe des vignerons des quatre coins de la Wallonie, qui cultivent la vigne sur une échelle réduite et pour leur consommation personnelle. L’objectif premier de l’asbl est « de promouvoir la culture de la vigne de plein air à raisins de cuve » en Belgique.
Une grande entraide existe entre ses membres qui s’échangent des conseils sur la culture de la vigne et sur la vinification. Le président actuel, Albert Cadorin, qui possède un joli vignoble à Dolembreux, fut notamment l’un des conseillers de Jean Galler au moment de la création de son vignoble à Vaux-sous-Chèvremont.
Les Cordeliers se réunissaient également régulièrement pour déguster ensemble les vins wallons et distinguaient le « 1er Cru Cordeliers ». Même si certains de ses membres sont toujours bien actifs et si l’asbl existe toujours, celle-ci ne semble plus très active, en tout cas au niveau public. La dernière modification de statuts publiée en 2010 mentionne malgré tout un conseil d’administration de huit personnes dans le Namurois, en province de Liège et dans le Brabant wallon.
A Wépion, il n’y a pas que des fraises
Tout comme la Confrérie de l’Ordre de Saint-Vincent, la Commanderie des Coteaux de Meuse de Wépion (CCMW) perpétue la tradition viticole de la région. Ses membres ont planté en 1995 une première parcelle de vignes sur un terrain privé de la chaussée de Dinant, non loin de Profondeville, puis sur une second terrain mis à disposition par la commune de à Wépion (à côté de la criée aux fraises). Respectivement, le Clos des Collets et le Clos Saint-Héribert. Les deux parcelles sont entretenues toutes l’année par les bénévoles, les plus jeunes étant formés par les plus anciens aux travaux de la vigne. Les raisins sont depuis plusieurs années confiés pour vinification au Château Bon Baron, situé non loin.
Outre le vin, car il faut bien manger en dégustant, la CCMW promeut également l’avisance, une spécialité namuroise qui se présente sous la forme d’un rouleau de pâte feuilletée farci de viande hachée et dont l’origine remonterait au temps où les pèlerins vers Notre-Dame de Halle emballaient les restes de viandes dans une crêpe afin de se sustenter en route.
Le Lion Fontaine confié à l’Horticole d’Ohey
Docteur en médecine, ancien directeur des opérations de Médecins sans Frontières et ancien directeur général d’Handicap international, et aujourd’hui député fédéral, Georges Dallemagne est aussi… vigneron. En 2007, il plante quelque 1600 pieds de cépages interspécifiques sur un terrain en contrebas de la propriété familiale à Coutisse et donne à son vignoble le nom énigmatique de la rivière qui coule dans cette petite vallée : le Lion Fontaine. Sa motivation n’est alors, et cela le restera, pas du tout commerciale, mais bien de faire quelque chose de ses mains et donc de transformer du jus de raisin en vin. Conseillé par Guy Durieux (cf. CAVA), Philippe Grafé (cf Domaine du Chenoy), Michel Pirson (professeur à l’école d’horticulture de Gembloux) et Pierre Lhoas (ingénieur agronome), il plante en 2007, 1600 pieds de Solaris, de Johanniter, de Palatinat, de Regent et de Rondo. « Sans chercher à tout prix une certification bio, l’idée est quand même de travailler proprement, explique-t-il. Je n’avais aucune envie de me promener tout le temps avec des produits chimiques sur le dos. Au départ, j’avais plutôt imaginé planter du Chardonnay ou du Pinot noir, mais cela aurait nécessité plus d’entretien, de soin et de prévention phyto-sanitaire. »
Les débuts paraissent simples, les premières bouteilles sont plutôt réussies et surprennent celles et ceux qui les dégustent (les blancs étaient effectivement remarquables), mais le gel frappe quasiment la moitié du vignoble en 2011, laissant des dégâts que Georges Dallemagne n’arrivera pourtant pas à réparer. Non pas par incompétence, mais surtout par manque de temps, ses activités politiques ne lui permettant pas de suivre le vignoble comme il devrait le faire.
En mars 2015, il décide donc d’en confier la gestion à une équipe d’une douzaine de personnes recrutées auprès du Cercle Horticole de Ohey et du Rotary local, mais qui ne se connaissaient quasiment pas. Les membres de cette nouvelle association de fait, apprennent rapidement la viticulture tout en apprenant également à se connaître. Même s’il n’y a pas de véritable chef, Paul Dubois est devenu le coordinateur naturel du groupe, celui qui tranche: « Nous avons repris le vignoble de M. Dallemagne pour neuf ans, il est mis gratuitement à notre disposition, nous louons un petit abri pour notre matériel et nous avons convenu de lui retourner 7% des bouteilles produites. » Le matériel a quant à lui été racheté par Michel d’Harveng, notaire à Thon, qui a aménagé un chai chez lui à Andenne. « Dans la mesure du possible, poursuit M. Dubois, nous souhaitons cultiver en bio et récupérer la terre. Nous apprenons le métier en avançant, nous allons devoir faire des choix, c’est certain, car le gel a quand même laissé pas mal de traces, sans parler des mulots… Aujourd’hui, il reste environ 800 pieds, nous avons l’ambition de produire 700 à 800 bouteilles avec la vendange de 2015 et nous avons choisi de faire un rosé et un effervescent. » Mais Paul, Joseph, Mimi, Chantal, Sabrina et Damien sont optimistes et se réjouissent déjà d’ouvrir leur première cuvée dans quelques mois. Mais ici aussi, aucune chance de trouver les bouteilles dans le commerce, elles sont destinées uniquement au plaisir des membres…
CAVOO: Amitié, Plaisir, Passion
Une confrérie dans un autre style à présent avec la Confrérie Amicale des Vignerons de l’Orne et de l’Orneau, CAVOO en abrégé, dont le nom des cuvées réalisées illustre parfaitement le leitmotiv de l’entreprise: « Amitié » pour le blanc (à base de Solaris et bientôt aussi de Chardonnay), « Plaisir » pour le rosé (à base de Régent et Rondo), et « Passion » pour le rouge (mêmes cépages).
La CAVOO, c’est avant tout l’histoire de cinq potes, les « beaufs » comme ils s’appellent entre eux. Chacun a planté des vignes au fond de son jardin en 2006 et 2007 avec, ici aussi, des cépages résistants tout d’abord, puis quelques pieds de Chardonnay et d’Acolon. Mais pas tous dans le même village: Patrick Hoet (200 pieds) et Laurent Claes (50 pieds) à Nil Saint-Vincent, Xavier Moens à Hévillers (80 pieds), Eric Pimpurniaux à Perbais (70 pieds) et Philippe Nuyt à Grand-Leez.
Chacun travaille de son côté, mais tous se voient plusieurs fois par an, pour donner un coup de sécateur ou pour boire un coup; Et à la vendange, tout le monde amène ses raisins chez Patrick Hoet où se fait la vinification. « Ici, on s’amuse, on n’est même là que pour s’amuser », confie Patrick Hoet, « car c’est difficile d’obtenir un vin de grande qualité lorsque les raisins ne sont pas assez mûrs. » Une soixantaine de bouteilles sont produites chaque année: un blanc au nez étonnamment résineux (en réalité, un ajout de miel pour gagner de la rondeur et du sucre) et un rosé de saignée qui manque toutefois un peu de corps. Mais tant pis, ce sera meilleur l’année prochaine.
Une association pour les vignerons
Ce tour d’horizon associatif se doit de se clôturer avec une association essentielle dans le paysage wallon: l’Association des Vignerons de Wallonie (AVW). Fondée en 2012, trois ans après son équivalente flamande, l’asbl a été créée pour se conformer avant tout à une exigence européenne. L’agriculture étant régionalisée suite à la réforme de la Politique agricole commune, la législation exigeait en effet une représentation des acteurs par région, et non plus par pays.
L’AVW a pour but “le développement, la mise en valeur et la protection du potentiel wallon de production vitivinicole“, ce qui englobe notamment la coordination des activités du secteur vitivinicole wallon, l’encadrement et la représentation des vignerons sur les plans technique, économique, social, fiscal et environnemental, la promotion des vins wallons et le développement de l’oenotourisme, mais aussi l’établissement, en concertation avec les autorités wallonnes, de règles en matière de production (cépages autorisés, appellations, rendement, …). »
Sa première cheville ouvrière fut l’infatigable Henri Larsille, ancien gestionnaire administratif du Vignoble des Agaises aujourd’hui retraité, et initiateur du Festival des Vins wallons aux Lacs de l’Eau de l’Eau d’Heure depuis 2012. Partant de zéro, il a réussi en peu de temps à fédérer les producteurs et surtout à imposer l’asbl comme interlocuteur auprès des autorités régionales et même fédérales, notamment dans le débat sur les appellations.
En juillet 2015, la présidence a été reprise par Pierre Rion, l’un des trois artisans du domaine de Mellemont. Ses ambitions pour les prochaines années: fédérer les producteurs, élaborer une charte de bonnes pratiques dans le vignoble et, outre des projets de promotion, faire en sorte que les vins wallons soient désormais servis dans les réceptions officielles. Changements en vue.
Article paru dans « Vins d’Artisans » aux éditions Racine en décembre 2015.