Près d’un vin sur deux produits dans la Vallée du Rhône porte le label régional des Côtes du Rhône. Inspirés par une grande variété de cépages (22!) et de terroirs, ils séduisent les amateurs de vins dans le monde entier.

Depuis 1937, 171 communes sont reconnues comme étant les seules à avoir droit à l’appellation d’origine contrôlée “Côtes du Rhône”. Principalement dans les départements de l’Ardèche, de la Drôme, du Gard et du Vaucluse, et plus anecdotiquement dans les départements de la Loire et du Rhône, dans le nord de la Vallée. Seuls les raisins produits dans ces communes peuvent donc être utilisés, mais pas toutes les variétés.

Grenache, Syrah, Mourvèdre et Cinsault - ©InterRhone

Grenache, Syrah, Mourvèdre et Cinsault – ©InterRhone

Si la Syrah est bien sûr l’un des cépages les plus emblématiques des Côtes du Rhône, le Grenache noir doit, selon son cahier de charges récemment modifié (cf. encadré), représenter un minimum de 30% de l’encépagement rouge des Côtes-du-Rhône, sauf pour les exploitations situées au nord du parallèle de Montélimar. Ces deux variétés principales sont complétées par le Mourvèdre noir. D’autres variétés peuvent être utilisées, le Carignan, le Cinsaut et la Counoise sont les plus connus des dix cépages secondaires autorisés. Les vins rouges peuvent en outre intégrer 5% de cépages blancs, et même 20% pour les vins rosés.

Grenache blanc, Clairette, Carignan blanc et Picpoul - ©InterRhône

Grenache blanc, Clairette, Carignan blanc et Picpoul – ©InterRhône

Pour les blancs, la gamme s’élargit à six cépages principaux,  Grenache blanc, Clairette, Marsanne, Roussanne, Bourboulenc et Viognier, et deux secondaires, Ugni blanc et Picpoul. Aucun cépage hybride n’est actuellement autorisé dans l’appellation.

Seules les vignes de plus de trois ans ont droit à l’appellation et vous ne trouverez pas le nom des cépages utilisés sur l’étiquette d’un Côtes-du-Rhône, sauf éventuellement en petits caractères sur la contre-étiquette. Retenez donc que le célèbre trio GSM, Grenache-Syrah-Mourvèdre sera le plus souvent présent dans votre verre. Mais il y a toujours des exceptions, comme dans tout.

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Les Amoureuses

Des coopératives créatives

Rassemblant souvent plusieurs centaines de membres, les caves coopératives rhodaniennes sont très actives, elles représentent 17% de la commercialisation des AOC de la Vallée du Rhône. Installée à Vaison-la-Romaine, la cave coopérative “La Romaine” est l’une des plus anciennes du Vaucluse, sa création remonte à 1924, soit presqu’un siècle. Elle réunit aujourd’hui 250 adhérents et après avoir longtemps privilégié la vente de ses vins en vrac (en citerne pour le négoce ou en cubis), elle a commencé à développer un conditionnement en bouteille depuis une trentaine d’années. ”

Nous devons miser sur la qualité, explique Natalie Michaud, responsable de l’export de la Romaine, c’est indispensable pour notre public mais aussi pour nos vignerons. Certains jeunes nous quittent pour se lancer à leur compte, mais tôt ou tard ils se rendent compte que faire et vendre son vin sont deux autres métiers et reviennent. Nous avons aussi élargi notre gamme aux vins blancs, car il est impensable de ne pas présenter les trois couleurs. Nous faisons des petits volumes de blanc (5000 bouteilles environ), mais il y a une jolie rotation.”

Créée un an plus tard, mais sur l’autre rive du Rhône, la coopérative de Chusclan a fusionné en 2008 avec celle de Laudun créée elle-même en 1939. Avec 150 membres qui cultivent 2500 hectares de vignes, la coopérative Laudun Chusclan Vignerons produit bien évidemment de gros volumes – elle est d’ailleurs leader dans le Gard rhodanien –, mais aussi des micro-cuvées de 2 ou 3.000 bouteilles dans un “esprit d’excellence”.

Elle propose sept vins blancs, tous, sauf un, en appellation Côtes du Rhône et Côtes du Rhône Villages. La cuvée Terra Vitae est quant à elle issue de parcelles conduites en agriculture biologique sur le village de Laudun. Cette démarche s’illustre par la préservation de l’Outarde canepetière, oiseau devenu rare en dehors du secteur laudunois et que l’on retrouve sur son étiquette.

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Le bio à portée de main

Ces dix dernières années, nombreux sont les jeunes qui quittent toutefois la coopérative pour se lancer à leur compte. Cela se passe souvent au moment de la succession, lorsque les enfants reprennent l’activité des parents. C’est par exemple le cas du domaine l’Abbé Dîne à Courthezon dont les propriétaires ont revendu des sélections parcellaires de leur récolte à la coopérative jusqu’en 2012.

Lors de la reprise du domaine, leur fille Nathalie a acquis une petite cave, voisine du Clos du Caillou vinifié par Philippe Cambie, l’un des meilleurs œnologues de la Vallée du Rhône, et elle a eu l’idée géniale de faire appel à lui aussi. Les deux vins labellisés Côtes du Rhône, blanc et rouge, sont de franches réussites, surtout le premier élaboré avec uniquement de la Clairette. “Nous sommes l’un des seuls à produire un vin monocépage, explique Nathalie Raynaud. Notre Clairette est plantée sur des terres sableuses, bien exposée au soleil et ramassée à la main. Nous travaillons en culture raisonné, avec des méthodes anciennes et saines, tout en apportant un brin de modernité, comme par exemple la confusion sexuelle.”

Au contraire de ce couple, d’autres attendent l’âge de leur retraite (parfois précoce) ou d’avoir suffisamment de moyens pour se lancer dans des opérations de plus grande envergure, comme par exemple Jean-Pierre Bedel, un industriel spécialisé dans les produits en béton. Il a en effet racheté voici quelques années le Château Les Amoureuses dans son village natal de Bourg-Saint-Andeol aux portes de l’Ardèche, où coteaux et terrasses partagent leur espace avec les vignes et les oliviers.

On raconte que jadis jeunes filles et garçons venaient ici prendre le frais et bavarder près d’un ruisseau bordant les parcelles de vignes plantées sur le lieu-dit “Vinsas”, un lieu idéal pour les rencontres amoureuses.

Rapidement passé de 20 à 70 hectares, ce domaine fait appel aux services de Jean-Philippe Trollet, sacré “Meilleur œnologue du monde” en 2009 par le prestigieux International Wine Challenge pour vinifier ses vins. Un tout nouveau chai ultra moderne et des bâtiments de 5000 m2 abritent une gamme de 18 vins dont deux excellentes cuvées en Côtes du Rhône, La Barbare, dominée en rouge par la Syrah et en blanc par le Grenache blanc, et Les Charmes tout à la gloire du Grenache noir.

Une autre formule encore répandue est le fermage, une formule qui permet à un fermier, en l’occurrence un vigneron, de cultiver une terre sous contrat. C’est la formule qu’ont choisi les moines qui ont exploité jusqu’en 2002 les vignobles du Château de Manissy (XVIIe siècle) qu’ils avaient plantés en 1910. Aujourd’hui, les hommes de robe ne sont plus que six et le vignoble de 35ha situé à Tavel est désormais loué par Florian André qui a également récupéré 35 autres hectares que ses parents confiaient autrefois à la coopérative locale. Le nom des cuvées renvoient non sans humour au vénérable passé du lieu avec des noms comme “Trinité” ou “Un avant-goût de paradis”…

« Tout le domaine est en bio, et même une partie en biodynamie, explique le directeur commercial Florian Mathieu. L’appellation des Côtes du Rhône est l’une des appellations les plus faciles pour faire du bio grâce au mistral qui sèche les pluies et empêche la propagation des maladies. Le bio connaît une énorme demande par ici, et pas uniquement dans le vin. Dans les villes, neuf nouveaux commerces d’alimentation sur dix qui ouvrent sont bio. Tout le monde s’y met, mais seuls les meilleurs perceront. »

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Développer les pratiques durables

Et en effet, les vignerons sont de plus en attentifs aux pratiques durables et au respect de la biodiversité. Situé à deux pas des vignobles d’une célèbre famille homonyme, avec laquelle ses propriétaires n’ont toutefois aucun lien, le Domaine Roger Perrin dispose de 40 hectares dont la moitié est en appellation Côtes du Rhône et Côtes du Rhône Villages. « Notre volonté, explique Véronique Perrin-Rollin, est de faire des vins agréables à boire, avec une présence en bouche et de la longueur, tout en finesse, ‘sans que les dents restent accrochées au verre’.

Nous ne voulons pas faire de la surextraction, juste avoir de la matière là où il le faut. De la puissance et de l’élégance tout en gardant le plaisir croquant du vin. Pour nous, la biodiversité est essentielle. Nous n’avons pas de label bio, mais nous n’utilisons plus de désherbants depuis 2010 et gardons les sulfites en dessous des normes. Hors de question d’utiliser des pesticides, il faut respecter le sol avant tout, c’est une vraie tendance. »

Non loin, à Courthezon, l’un des secteurs de Châteauneuf-du-Pape, le domaine de Fontavin est composé de 45 hectares éclatés sur huit parcelles et totalement en agriculture biologique. Fondé dans les années 1970 par Martine Clerc et son mari Michel Chouvet, Fontavin a été repris par leur fille Hélène, œnologue, en 1996, soit quelques années après leur départ de la coopérative. Aujourd’hui, le Domaine de Fontavin se présente même avec une triple signature féminine: Hélène la vigneronne (septième génération), Agathe la maître de chai et Pauline, la technicienne.

De 2008 à 2011, l’équipe a fait certifier la conversion bio du vignoble. “Notre chance, explique Agathe Lauziere, est d’avoir un vignoble morcelé sur plusieurs villages grâce à l’union des père et mère d’Hélène qui ont aussi uni leurs vignes, avec plein d’appellations prestigieuses. Le travail est évidemment physique, mais on ne fait pas de bons vins sans suer un peu…” Le Côtes-du-Rhône rouge « Les vignes de mon père » est d’une grande finesse et incarne le renouveau de la région.

 

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Aussi avec la lune

Tirant son nom des gardes italiens à cheval des papes d’Avignon appelés ‘carabinieri’ qui occupaient les lieux au XIVe siècle, le domaine des Carabiniers est situé à quelques kilomètres de Roquemaure. Trois générations y produisent du vin depuis près de cent ans mais le domaine est aussi l’un des pionniers du bio et de la biodynamie dans les Côtes du Rhône. Christian Leperchois est d’ailleurs l’une des chevilles ouvrières du salon Millésime Bio.

“Depuis 1997, la culture biologique, explique le vigneron, s’est imposée tout naturellement : la pollution, l’appauvrissement des sols empêchant ainsi le terroir de s’exprimer m’ont conduit très tôt à privilégier l’agriculture biologique et biodynamique (depuis 2009), car on ne peut faire des grands vins qu’avec la nature et non contre elle ! » Ses enfants l’ont rejoint et s’inscrivent bien sûr dans cette même philosophie.

“L’Occitanie est la région n°1 pour la biodynamie et le bio, et avec ses 40 hectares, ajoute Manon Messainguiral, responsable commerciale, notre domaine est l’un des gros joueurs en France. Près de 80% de notre production sont exportés, en Europe ou en Amérique. C’est paradoxalement plus facile d’expédier des volumes par palettes entières plutôt que par quelques cartons aux cavistes. Notre ambition est de faire connaître notre domaine à l’international bien sûr, mais aussi la biodynamie. Près de 40% des vins sont reconnus en AOC Côtes du Rhône.”

Les Maisons de Vins aussi

Enfin, pour clôturer ce premier panorama de la Vallée, il faut bien évidemment souligner l’importance des Maisons de négoce. Intermédiaire entre le vigneron et le consommateur, le négociant achète la récolte de viticulteurs avec lesquels il est en contrat, ou même les vins finis. Il s’occupe alors de leur élevage et surtout de les commercialiser. La Vallée est riche de négociants inspirés qui ont aussi parfois leurs propres vignobles. Présidée par Etienne Maffre, l’Union des Maisons de Vins du Rhône rassemble 59 entreprises qui commercialise près de 47% des vins AOC de la Vallée du Rhône. Les maisons Delas, M. Chapoutier, Cellier des Dauphins, Guigal ou Vidal Fleury sont quelques-unes des Maisons les plus connues chez nous.

Située à Tain-l’Hermitage, Ferraton est une maison de négoce spécialisée dans le Rhône Nord, et surtout dans le Gard. Créée en 1946 par Jean Orëns Ferraton, la maison s’étoffe au fil du temps et est développée par son fils Michel qui convertit le vignoble en viticulture biologique dès 1998 avant de s’ouvrir lui aussi à la culture biodynamique. Une audace nouvelle. Exemple abouti de cette conversion, la cuvée Samorëns, un Côtes du Rhône rouge assemblant Grenache, Syrah et Cinsault.

‘L’AOC Côtes du Rhône est une des appellations les plus grandes de France, voire du monde, explique le directeur commercial Olivier Goni, le négoce y a toujours joué un rôle très important. Nous avons une approche de sous-traitance avec des cahiers de charges décrivant les demandes et exigences afin de garder la spécificité de chaque millésime dans les assemblages. Nous n’avons que cinq ou six fournisseurs. Historiquement, nous sommes rattachés à Crozes-Hermitage et à Saint-Joseph. Dans le sud, nous achetons les jus directement, la proximité rend les opérations plus faciles à gérer.”

D’autres initiatives de négoce plus modestes existent encore à côté de l’activité de ces grandes Maisons, comme par exemple celle des « Deux clos ». Comme son nom l’indique, “Les deux clos” sont bien deux: le Clos des Américains et le Clos des Centenaires, deux propriétés voisines au sud de Nîmes qui élaborent chacun leurs propres vins de domaine. Ensemble, ils ont décidé de se lancer voici quelques années dans le négoce, toujours sur la rive droite du Rhône, mais plus haut, entre Uzès et Avignon. Ils ont sélectionné six producteurs autour de Rémoulins et réalisent avec eux des sélections parcellaires de très vieux Grenaches que les deux vignerons, Luc Baudet et Bruno François, comparent volontiers au Pinot noir du sud.

“On trouve dans cette région des terrasses vilafranchiennnes comme de l’autre côté du Rhône et nous sommes aussi sur l’ancien lit de la Durance, explique le propriétaire du Clos des Centenaires, mais les terroirs sont plus frais grâce à leur proximité avec le Gardon. Nous voulons véritablement défendre le territoire rhodanien gardois et prouver que l’on peut aussi faire de grands vins du côté du Languedoc. Nous avons aussi des micro-parcelles près de Rasteau et dans le Rhône septentrional, et grâce à des achats en cours, nous disposerons de 40 ha dans les cinq ans.”

Marc Vanel – 28/12/19 (reprise en trois parties d’un dossier paru dans Essentielle Vino n°17 en mars 2018)

Première partie ici.