Pas encore de vendanges pour “La Voix des Mêlés” aux portes de Mons, mais c’est normal, les vignes n’ont été plantées que l’an dernier et cette année. Présentation avec Franck Van Den Bulcke qui se définit avant tout comme « paysan-vigneron ».

« Fils d’agriculteur, petit-fils d’agriculteur, arrière-petit-fils d’agriculteur et agriculteur lui-même », la formule a été popularisée par Michel Serrault dans un de ses films, mais Franck est effectivement issu de trois générations de chiconniers dont la marchandise était écoulée aux halles de Paris ou de Maubeuge. Même s’il a surtout, trouve-je, une gueule de cinéma ou de rugbyman.

Et du sport, il en a pratiqué. D’abord en suivant son père sur les terrains, puis comme joueur, entraîneur ou moniteur à la Commune. En sélection nationale « Jeunes » au foot, ou, surtout, en division 1 de balle pelote, sport qu’il a fini par choisir.

En 2012-13, son père connaît des problèmes de santé et Franck arrête le sport pour reprendre l’exploitation familiale, dont les cultures de chicon en pleine terre. « Mon père pensait que l’agriculture n’était pas un métier d’avenir, mais cela m’a toujours attiré, confesse Franck. J’ai toutefois vite compris que l’agriculture conventionnelle était au service d’un système qui n’a aucun sens de la valorisation du produit ou du travail, qui fait tout sauf comprendre la nature. Aujourd’hui, tout est passé en bio, mais c’est quelqu’un d’autre qui s’en occupe. »

 

La parcelle de Saint-Symphorien en juillet 2023 – © Vanel

 

Son père lui ayant laissé quelques terres sur Saint-Symphorien, il décide de se lancer dans un projet viticole.

« Il m’a donné une terre pour faire du vin, il était content que je mène ce projet. Je souhaite valoriser un produit de A à Z, le plus naturellement possible . Je veux vraiment être un paysan-vigneron, retourner au contact de la terre et surtout apprendre le métier. Je me suis lancé assez vite, grâce à l’aide de ma compagne, Marilyne, qui est sophrologue et surtout “coach de vie”, elle est souvent en contact avec la nature, elle organise des marches, des séjours, etc. Lors d’une balade à deux dans le vignoble du Mont des Anges, non loin de chez nous, je lui ai parlé de mes envies, elle m’a challengé, et le lendemain, c’était parti.

Les débuts

Lorsqu’il démarre l’aventure, Franck y va prudemment, prenant conseil chez Servaas Blockeel, véritable gourou du vin nature en Belgique, fait quelques voyages et prend également conseil chez un voisin, Cédric Fernagut, agriculteur en biodynamie sur Harmignies, où Franck possède sa seconde parcelle, et qui va planter en 2024.

Il consulte également le Français Marceau Bourdarias qui se définit comme “architecte du vivant ”. Spécialisé dans la taille des arbres fruitiers, il s’intéresse également à celle des vignes. C’est lui qui dessine la parcelle de Saint-Symphorien.

« Quand j’ai repris l’exploitation de mon père, j’ai commencé par planter 5km de haies sur trois rangs, cela fait plus de 20.000 arbres dans les haies pour faire une espèce de maillage, créer des espaces. En 2021, j’avais déjà 45 ans quand je démarre les vignes et je n’avais pas envie de commencer par 20 ares. Comme j’ai pu échanger une des mes terres avec une autre appartenant à la Ville de Mons, je dispose à présent de deux terroirs: des sols argilo-limoneux à Saint-Symphorien (16.000 pieds sur 2,67ha) et de craie sur Harmignies (8.300 pieds sur 1,87ha). Mon but n’est pas d’avoir énormément d’hectares, mais de pouvoir développer les deux terroirs qui vont donner deux profils de vins. »

 

Sol de craie à Harmignies

 

Franck a logiquement choisi des variétés résistantes pour éviter les maladies cryptogamiques, et retrouver de la diversité en reprenant des anciens cépages pour avoir des goûts différents. Après dégustation de jus, il a opté pour un large choix afin d’expérimenter l’adéquation des porte-greffes, de voir ce qui fonctionne ou non, et limiter les risques. Il s’est fourni chez Valentin Blattner en Suisse, ainsi qu’aux pépinières Borioli dans le canton de Neuchâtel.

Pour la première parcelle, son choix s’est porté sur dix variétés ! En blanc : sauvignon soyhières, divona, muscaris, sauvignac et souvignier gris, et en rouge : cabernet jura, pinotin, un cépage de la famille des cabernets encore sans nom, divico, cabernet noir (aussi appelé cabaret noir), catawba et americana bianca. Avec une répartition de 65% en rouge et 35% en blanc.

A Harmignies, étant donné le sol de craie, la proportion est de 85% de blanc (muscaris, sauvignac, rayon d’or, seyval, souvignier gris) et 15% de rouge (cabernet noir, léon-millot et cabernet jura).

 

A Harmignies, la vigne prend son temps… © Vanel – Juillet 2023

 

Le premier bilan

« Au départ, je n’ai pas voulu créer de coopérative, j’ai plutôt fait appel au prêt Coup de Pouce, grâce auquel des personnes peuvent investir dans le projet et bénéficier d’un avantage fiscal. Ce fut un succès au-delà des limites autorisées de 250.000 euros, j’ai même dû rembourse l’excédent.

Côté plantations, en 2022, la première parcelle a souffert de la sécheresse. Et cette année, j’ai dû utiliser 46.000 litres d’eau dans des seaux pour sauver les vignes, heureusement que j’ai été aidé pour cela. J’avais aussi en vue le rachat d’une grange pour y aménager un chai, mais cela n’a pas abouti et je dois à présent penser à construire, ici à la ferme. J’ai déjà un pré-accord de la commune.

Aujourd’hui, je ne fais plus que cela. Il faudra encore quelques années pour générer des rentrées, mais j’y crois. On ne maîtrise évidemment pas les aléas climatiques, mais la vigne est une plante magnifique que je découvre, si tu donnes de l’amour, elles vont te le rendre. »

Au fait, pourquoi ce nom de La Voix des Mêlés ? « Le vignoble est situé sur le lieu-dit “champ mêlé (ou mellé)”, un toponyme que l’on retrouve à gauche et à droite en Wallonie et qui évoque ici une querelle du XVIe siècle. C’est aussi le site protégé de la bataille de Mons. Pour moi, la Voix est ce mélange de biodiversité et d’agro-ecologie. »

Marc Vanel, 13/9/23
(entretien réalisé fin juillet)