Avec le printemps démarre un nouveau cycle végétatif dans les vignobles. Il faut tailler, nettoyer, réparer les piquets, retendre les fils. Rien que de très normal, sauf que le personnel ou les saisonniers ne sont pas là pour effectuer ces tâches. Et toutes les ventes sont bloquées depuis le 13 mars. Sans rentrées, la situation peut rapidement devenir difficile pour le secteur si elle perdure.
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Annulations en chaîne

Chez Ruffus, premier producteur du pays (25ha), les dispositions sanitaires ont bien sûr été prises et les équipes travaillent à distance en évitant tout contact. « Cette crise sanitaire mondiale, commente John Leroy, va être très lourde pour tout le monde d’un point de vue psychologique et économique. Notre vision de la société risque d’être totalement perturbée. » Si la maison vend la quasi totalité de ses bouteilles avant de les sortir, un problème se posera dans plusieurs semaines au moment du dégorgement des bouteilles, une opération qui nécessite la présence d’un prestataire français et de personnel pendant plusieurs semaines. « Si l’opération est reportée, poursuit John, cela amènera des périodes creuses pour le personnel et un décalage des ventes, et donc de trésorerie. Pour l’instant, tous les restaurants et bars sont fermés, la plupart des cavistes aussi, il n’y a pas d’événements… Depuis 15 ans, nous organisons en juin l’enlèvement des commandes au vignoble, cela risque d’être déplacé à septembre. Je n’avais imaginé que pour une fois ce n’est pas par la météo que la nature nous impacterait. »

Même son de bouchon au Domaine du Chenoy qui a dû annuler tous les chantiers d’embouteillage. « Et gros problème, ajoute Jean-Bernard Despatures, on ne peut plus recevoir nos clients ni faire déguster nos vins. Tous les événements sont supprimés et l’Horeca est fermé, il y aura forcément un manque à gagner important”.

Idem pour le Domaine de Glabais qui déclare avoir annulé « les journées ateliers-découvertes, la plantation de haie en vue de protéger la vigne côté Nord et de favoriser la biodiversité, les visites et dégustations. Sans parler de la diminution de nos ventes vers les restaurateurs, les  traiteurs  et également vers les privés, déplore Christian Balduyck. La prospection vers certains restaurants est aussi à l’arrêt et tous nos contacts avec l’Awex ou les différents contacts à l’export sont temporairement au frigo. »

Se réorganiser

Au Domaine du Château de Bioul, Vanessa Wyckmans craint un impact énorme. « Toutes nos ventes sont à l’arrêt depuis le 13 mars, constate-t-elle, tous les salons sont annulés jusque fin mai et certaines matières premières sont bloquées aux frontières. On attend pour y voir plus clair. »

Chez Vin de Liège, les consignes sont respectées : « Nous demandons à chacun de prendre sa propre voiture afin de ne pas être confinés dans une camionnette, confie Alec Bol… Et même sur le temps de midi dans les vignes, nous restons loin l’un de l’autre. C’est étrange mais parfait pour la distanciation sociale. Nous avons dû annuler nos portes ouvertes, il faut réorganiser la sortie de nos vins, car les ventes ont été stoppées net ! L’impact sera énorme. »

Dans le Brabant wallon, au Domaine de Mellemont, les ventes continuent, même si difficiles, constate Pierre Rion: « Cela suit, sauf évidemment l’Horeca, mais nous avons accordé spontanément  des facilités de paiement à nos clients Horeca par solidarité ! »

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Photo: Adrien De Busscher – Vignoble de Nouvelles

Au domaine Septem Triones, Jean Galler garde espoir : « Nous devions dégorger en avril nos première bouteilles d’effervescent, aux 30 cépages. C’est remis à plus tard mais il n’y a aucune urgence. Il y en a tellement peu et la matière est à ce point fantastique que nous devons prendre le temps de laisser les choses se faire. Les visites-dégustations doivent commencer le 9 mai. Pour la vente, nous n’avons pratiquement plus rien de 2018 et le 2019 n’est pas encore mis en bouteille, si ce n’est le Gamay que nous avons vinifié en macération carbonique pour la première fois. »

Au Domaine du Blanc Caillou, nous confie Marc Boddaert, « un jardinier a été engagé depuis quelque temps sous article 60, je lui ai transmis par internet les schémas de taille et nous nous sommes également expliqués par vidéo. En une semaine, à raison d’un homme à la fois depuis le confinement, notre vignoble a été taillé. Nous ne savons, hélas pas mettre en bouteilles, les 60 premiers litres vinifiés à titre d’essai. »

A Hélécine, au Domaine Beekborne, Patrick Carmans lui aussi constate que toute vente est bloquée. « Je viens d’avoir contact, ajoute-t-il, avec mon fournisseur en France (pépinières Guillaume) et heureusement la livraison des nouveaux pieds de bignes aura lieu comme prévu fin avril. »

Dans un autre registre, le Château Bon Baron a fait don de 5.000 litres de vin à une distillerie afin de confectionner de l’alcool à friction et donc d’accroître les stocks de produits désinfectants.

Profiter de l’été

A Saintes, au Domaine W qui attend ses premières bouteilles à la fin de cette année, les seules rentrées sont actuellement les cotisations des membres du Club W, les préventes et la location des lieux pour des événements. « Depuis le 12 mars, nous n’avons plus aucune inscription, explique Dimitri Vander Heyden, ni de location du Salon W. C’est tenable, sauf si cela perdure bien sûr. Nos priorités sont en fait ailleurs : nous attendons 18.000 pieds de vignes pour replanter 4 hectares mais ils sont bloqués, avec le planteur, au Luxembourg, et il faut surtout du monde pour mettre les tuteurs et les filets pour protéger des lapins, cela représente 2 semaines de travail pour 5 personnes. Difficile. Par ailleurs, nous avons demandé des aides aux investissements ADISA mais elles sont subordonnées à une visite des lieux… Et le tracteur que nous avons commandé en Italie est bloqué sur le parking de l’usine… »

Dans le Hainaut, le Vignoble de Nouvelles avait lui aussi prévu de planter à la fin avril. « Nous sommes toujours à la taille, explique Vincent De Busscher, mais les stagiaires de l’IFAPME ne peuvent plus venir et le confinement repousse la plupart des bénévoles de peur de se voir infliger des amendes. Ceci malgré que l’activité soit en plein air et que nous ayons confectionné des masques de protection selon les normes gouvernementales. Les investissements en protection contre le gel sont heureusement arrivés à temps. Nous sommes donc parés, car les gelées commencent déjà… Il faudra se retrousser les manches, c’est certain ! »

Enfin, confie un vigneron flamand qui a souhaité rester anonyme, « nous recevons le report de formalités administratives nécessaires, ce qui est positif. Des subventions sont annoncées, mais tout est encore très vague. En tant que vigneron, nous devrons puiser dans nos propres réserves de liquidités pour survivre. On sait que le secteur viticole n’est pas très populaire auprès des banques, mais j’ai confiance en la détermination des vignerons belges ! »

Ventes en ligne: plusieurs vignerons ont lancé une boutique en ligne, souvent avec livraison gratuite. Sinon, plusieurs sites existent, les trois principaux sont Popsss.com, OenoBelgium, BelgianWines. Une nouvelle boutique a récemment été lancée: Vins Belges

Marc Vanel, 30/03/20 – Photo d’ouverture: Ingimage