Suite de l’histoire de la viticulture dans les vallées de la Sambre et de la Meuse co-écrite avec Guy Durieux : le vignoble comtal de Namur.
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Du Ve au Xe siècle, Namur faisait partie du Saint-Empire, dont il était l’une des divisions administratives et portait le nom de « pagus Lomacensis ». Le pays prend ensuite le nom de « comté de Lomme » avant de devenir le « comté de Namur » lorsque Bérenger s’émancipe de la tutelle des Carolingiens et installe son château sur la montagne du Champeau (« Champiauz », à l’époque), également dénommée « Bulley » (ou « Buley » ou encore « Bulet »), au confluent de la Meuse et de la Sambre.

En 987, l’abbaye de Gembloux se met sous la protection de l’église de Liège et, à cette occasion, Notger, prince-évêque de Liège, lui donne le village de Temploux et lui octroie une vigne située « en Bulley » (1) à la Plante à Namur. Et c’est précisément là, mais près d’un quart de siècle plus tard, sur le versant sud-est de la montagne du château et même au-delà du pont de Jambes, que va peu à peu se développer le vignoble du Buley, le seul qui durant le moyen âge et l’époque moderne, fit l’objet d’une exploitation plus intensive, voire commerciale. Il sera considérablement élargi entre 1265 et 1289.

A la même époque, une partie du vignoble comtal est exploité par des « vignerons indépendants » qui cédaient partie de leur production au comte Gui de Dampierre. Celui-ci possédait ses propres vignes à Buley, ainsi que non loin de Wépion, il est question, selon les sources, de six hectares. Comme ailleurs dans le pays, des vignes sont également exploitées par des communautés religieuses (notamment la paroisse Notre-Dame ou encore le chapitre St Denis de Liège) ou par des bourgeois.

Sur la rive droite, à Jambes, on change de camp car on entre làsur les terres du prince évêque de Liège, lequel bénéficiait en outre du droit d’avoir en permanence un pêcheur sur la Sambre et la Meuse et possédait un « stordoir » (pressoir) au pied du vignoble de Saint-Martin-en-Buley… de l’autre côté de la Meuse. Au moment des vendanges, les « Masuis » jambois étaient obligés de faire rouler leurs récolte jusqu’au pressoir en traversant le pont de Jambes et en s’acquittant d’une redevance. Ce qui aurait donné naissance, selon la Confrérie (actuelle) de l’Ordre de Saint-Vincent, à l’expression « vigneroule », nom que porte toujours une parcelle non loin de là et exploitée par ladite confrérie. Pour Marc Ronvaux, historien de Namur, le nom de Vigneroule dériverait plutôt de Wigneroulx, nom d’un vaste bois sur le plateau. En 1848 ne subsisteront que 22 ares de vignes de ce côté de la Meuse.

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Le pont de Jambes

Le pont de Jambes

Voilà les Bourguignons

Un tournant dans l’histoire namuroise s’opère en 1418 lorsque Jean III de Dampierre succède à son frère aîné à la tête du comté alors en grande difficulté financière. Agé de 60 ans et sans héritier direct, il vend le comté en viager à son cousin, Philippe de Bourgogne, comte de Flandre et d’Artois en 1421, dit Philippe le Bon qui deviendra en 10 ans le plus puissant prince de la chrétienté. Si l’on imagine aisément que la gouvernance bourguignonne ait pu avoir un impact sur la viticulture namuroise, il faut avouer que cela relève plus du fantasme, car très peu de documents l’évoquent, tout reste à écrire en ce domaine. Le XVIe siècle est essentiellement le siècle du rendage, ce qui signifie que les terres (des vignes du Buley et de la Plante) sont louées à des bourgeois sous réserve d’en « rendre » une partie du profit tiré de la production.

En 1438, le bail suivant est conclu, non plus pour 9 mais pour 12 années. La part revenant au comte est vendue ou fournie aux garnisons de Namur, Montaigle et de Bouvignes, ou encore à certains de ses châteaux flamands. Mais l’essentiel est bu sur place. Quelques faibles exportations existent, mais elles sont souvent plus le fait de la libéralité du prince que l’expression d’un véritable commerce.

La ville s’étend lentement et, comme dans bien d’autres lieux en pays mosan, les vignobles souvent situés dans ou aux portes de la cité sont reconvertis en terrains à bâtir, que ce soit pour des habitations ou, plus prosaïquement, pour y installer des fortifications comme ce fut le cas à Namur.

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Il n'est pas trop difficile d'imaginer des plantations sur ces beaux coteaux...

Il n’est pas trop difficile d’imaginer des plantations sur ces beaux coteaux…

 

Lent déclin

Au début du XVIIe siècle, comme en témoignent les albums de Croÿ, la vigne est toujours cultivée à Namur et à la Plante essentiellement, même si les plantations ont manifestement souffert du siège de 1577. Le plan de Braun et Hogenberg témoigne de la splendeur du vignoble de Buley au XVIe siècle, comme le relève Marc Ronvaux, « il couvre toute la colline dominant La Plante, idéalement orientée au sud-est. Outre les sièges, les grands travaux de fortification eurent sur les coteaux de la citadelle des effets autrement plus dommageables au vignoble que les petits aménagements du XVe siècle. »

En 1673, une ordonnance du Gouverneur général des Pays-Bas commande l’arrachage d’une partie des vignes longeant la fortification du château sur son flanc mosan, craignant qu’elles mettent en difficulté la défense du site. Le dernier quart du XVIIe siècle est ensuite marqué d’une part par la signature de traités qui vont ouvrir de nouvelles routes commerciales (sur la Meuse) entre la France et la Hollande et d’autre part par de nouvelles guerres. Assiégée en mai 1692 par Louis XIV depuis les hauteurs de la Marlagne, Namur se rend aux Français en quelques jours et évite ainsi un pillage en bonne et due forme. Les sièges successifs ont vraisemblablement fait disparaître la majeure partie du vignoble namurois, contrairement à Huy, comme on le verra dans un autre article.

Mais le XVIIe siècle est également marqué par des conditions atmosphériques difficiles qui contribuent elles aussi au déclin de la viticulture mosane, notamment plusieurs hivers rigoureux entre 1656 et 1660, durant lesquels la Meuse et la Sambre ont été fermées par les glaces, sans parler des ravages sur les récoltes des intempéries dans les campagnes. Au XVIIIe siècle, il semble que la viticulture perdure malgré tout en périphérie ou dans la vallée mosane, tout comme le “métier de vigneron”. Après la prise de Namur le 9 novembre 1792 par les armées françaises, le métier des vignerons et cotteliers, de même que les autres métiers de cette ville, fut supprimé. Avec la sécularisation des biens du clergé après 1795, les derniers vignobles qui appartenaient à l’église sont tombés aux mains des pouvoirs publics qui souvent revendent les terrains qui changent ainsi d’affectation.

Comme l’a souligné Axel Tixhon dans son article « L’histoire du vin mosan en questions. Quelques éléments de réponse », « la consommation du vin local semble aussi fléchir à cette époque. Les progrès obtenus grâce à l’emploi des bouteilles dans le domaine de la conservation profite essentiellement aux grands crus étrangers. Le commerce de ces derniers ne fléchit pas même s’il doit subir une lourde imposition et une réglementation tatillonne. La bière est devenue, par contre, progressivement la boisson des classes populaires. Elle semble régner sans partage dans les tavernes et les auberges ! ».

Fin XVIIIe, après avoir été autrichienne, Namur repasse sous régime français durant les guerres de la Révolution et de l’Empire et, lors de la réunion des territoires de l’actuelle Belgique et de la Principauté de Liège à la France, devient chef-lieu du département de Sambre-et-Meuse créé le 1er octobre 1795 (mais déjà dissous en 1814). Avec le traité de Vienne en 1815, Namur, comme l’ensemble des Pays-Bas Méridionaux, est incorporée au Royaume de Hollande et prend ensuite une part active à la Révolution belge de 1830 en participant à la libération de Bruxelles. A cette époque, la culture de la vigne disparaît alors quasi complètement de la province et il faudra attendre la fin du XXe siècle pour la voir réapparaître, mais pas seulement sur les rives de la Meuse…

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Plus de détails (et de sources) dans le livre « Vignobles de Sambre et de Meuse, 12 siècles d’histoire » que j’ai publié avec Guy Durieux à compte d’auteur en 2013. Encore quelques exemplaires disponibles…

Marc Vanel (et Guy Durieux), 27/01/20

 

 

(1) D’après DARIS Joseph, « Histoire du diocèse et de la principauté de Liège, T. I. », Demarteau, Liège, 1890, pp. 100s.