Quand la culture du raisin a-t-elle été pour la première fois domestiquée? Une étude publiée dans la revue Science bouscule les idées établies.

Il est souvent avancé que les premières vignes ont été domestiquées il y  a plus de 8000 ans. Soit dans le Caucase (dans l’actuelle Géorgie ainsi qu’en Arménie), soit dans ce que l’on appelle le Croissant fertile, qui s’étend de la mer Morte au Golfe persique en passant par le sud de la Turquie, le nord de l’Irak et l’Iran occidental. La fameuse légende de Noé plantant des vignes après le déluge…

Plusieurs découvertes archéologiques semblent affirmer cette double origine, mais aucune véritable étude n’a jamais vraiment été menée sur le sujet.

C’est désormais chose faite, avec cette étude parue le 3 mars dernier dans la revue Science, menée dans 16 pays en collaboration entre 23 institutions, et surtout réalisée avec près de 3500 échantillons de Vitis vinifera.

Chacun d’entre eux a été génotypé afin d’identifier tous les marqueurs génétiques permettant de déterminer leur proximité ou leur éloignement. L’idée étant de reconstituer l’évolution de la vigne au fil des siècles.

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Comme l’indique le résumé de l’étude publié sur le site de Science, « en incorporant les effets des oscillations glaciaires sur les distributions biogéographiques de l’ancêtre sauvage (Vitis vinifera ssp. sylvestris) à travers l’Eurasie, les chercheurs ont résolu deux processus de domestication distincts à partir de deux populations distinctes de sylvestris au Proche-Orient et dans le Caucase du Sud qui ont été séparés au cours de la dernière période glaciaire.

Ils ont également constaté que bien que la domestication du Caucase du Sud soit associée à la vinification précoce, l’origine du vin en Europe occidentale est associée à une fertilisation croisée (introgression) entre les populations sauvages d’Europe occidentale et les raisins domestiques originaires du Proche-Orient qui étaient initialement utilisés comme sources de nourriture. »

3 à 4000 ans plus tôt

Selon les chercheurs, le climat rigoureux du Plioscène a conduit à la séparation des écotypes de raisin sauvage par la fragmentation continue de l’habitat.

« La domestication s’est ensuite produite simultanément il y a environ 11 000 ans en Asie occidentale et dans le Caucase pour produire des vignes de table et de vin. Les “domestiqués” d’Asie occidentale se sont dispersés en Europe avec les premiers agriculteurs, introgressés avec d’anciens écotypes occidentaux sauvages, puis diversifiés le long des sentiers de migration humaine dans le muscat et les ancêtres uniques des raisins de cuve occidentaux à la fin du Néolithique. »

Les variétés de Vitis vinifera aujourd’hui cultivées en Europe sont donc issues de croisements accidentels avec des vignes sauvages lors de la migration des agriculteurs vers l’Ouest… Les variétés cultivées en Géorgie n’auraient donc donné naissance qu’aux espèces actuellement cultivées dans ces régions.

L’invention du vin

Thierry Lacombe, un des chercheurs français impliqués dans cette vaste étude, a déclaré dans Le Figaro du 3/3/23 que l’invention du vin serait probablement accidentelle et qu’elle serait due au passage de plantes sauvages mâles et femelles à des plantes hermaphrodites, avec pistils et étamines sur la même fleur.

« Sans cela, la culture de la vigne serait bien trop contraignante (…), la domestication a produit très tôt des variétés pour la table. L’invention du vin a quant à elle probablement été accidentelle. On peut imaginer que des raisins moins bons à manger, avec une peau plus épaisse et des pépins plus gros, ont pu être oubliés au fond d’un récipient où ils ont fermenté. Or ces derniers donnent un meilleur vin que les grains de table ! Cela a pu pousser nos ancêtres à orienter la sélection dans ce sens pour obtenir des cépages spécifiques. »

L’analyse de cette enquête ne fait que commencer… Voyez l’étude complète sur le site de Science, en téléchargement payant : ICI.

Marc Vanel, 5/3/23