Originaire de Bavegem, Kathleen Van den Berghe partage son temps entre la Belgique et la Loire dans ses deux propriétés viticoles. Ingénieure de formation, elle porte désormais aussi le titre de Master of Wine, distinction ultime dans le monde du vin. Portrait d’une femme déterminée et pleine de ressources.
Commençons par le début : où es-tu née ?
Je suis née à Gand mais j’ai grandi dans la campagne de Bavegem. J’ai grandi entourée d’agriculteurs, de machines agricoles et de vaches. Mon père était entrepreneur et traitait les déchets animaliers qui sortaient des abattoirs, les os et les graisses en fait. Cela doit venir de là que j’ai voulu être ingénieure, je ne sais pas, mais j’étais entourée de “business”, quoi. Passionnée par les ponts, j’ai étudié pour devenir ingénieur en construction. A Gand, puis une année de plus à Liège.
Qu’est-ce qui t’attirait dans les ponts?
Je trouve qu’un pont est une construction intelligente et belle, parce qu’elle combine l’esthétique et la technique. Il y en a pas mal dans le monde, comme ceux de Calatrava, mais aussi plein d’autres. En néerlandais, on les appelle kunstwerk (ouvrage d’art), c’est un beau mot pour une construction, cela m’a toujours fascinée.
Mais quand j’ai commencé à travailler dans la construction, j’ai vite vu qu’un pont, cela durait dix ans… cela ne correspondait pas à mon horizon de projet : j’ai quand même travaillé quatre ans en construction, mais sur des projets de bâtiments, et pendant un an, j’ai travaillé sur les murs des quais à Zeebrugge… J’ai fait quatre projets comme ça, puis j’ai vu que le monde de la construction était un peu conservateur, qu’on n’allait pas tout de suite promouvoir des femmes… et que les projets prenaient beaucoup de temps. La patience n’a jamais été mon point fort !
Tu changes alors de direction…

Kathleen et Sigurd
Comme j’ai toujours voulu étudier, j’ai suivi les cours de la Vlerick Business School, avant d’entrer chez McKinsey en 2000, et j’ai fait cela pendant neuf ans. J’ai adoré. Il n’y avait pas cette histoire homme-femme, tu fais ton travail, et si tu le fais bien, tu es promue, tu vois, c’est quand même beaucoup plus honnête, et j’aime beaucoup le problem solving. J’ai voyagé non-stop, je n’ai quasiment jamais travaillé en Belgique. C’est aussi là que j’ai rencontré mon mari, Sigurd Mareels. On s’est mariés, on a eu notre fille Sofie, et comme on voyageait tous les deux du lundi au vendredi, je me suis dit que ce n’était peut-être pas une vie de famille optimale pour les enfants.
Donc j’ai voulu faire autre chose, j’ai quitté McKinsey pour un boulot de bureau, j’ai fait ça un an, mais ce n’était pas pour moi non plus. J’ai vite vu que prendre la voiture le matin, aller au bureau, dans les embouteillages belges me rendrait tellement triste que j’ai dit non, non, il fallait que je fasse mon propre truc.
C’est à ce moment-là que tu décides de produire du vin?
Pas tout de suite, mais quand nous partions en vacances, on trouvait toujours un vignoble sur notre route. Même en Turquie ou au Canada… C’était comme un truc qui nous motivait. Un jour, en vacances chez des amis qui avaient une maison en Toscane, on regardait les vignes, et les oliviers, et on s’est dit que c’était quand même une vue paisible. La mer, cela ne nous dit rien, on préfère aller dans la nature.
Nous avons alors eu envie d’acheter une maison de vacances avec quelques vignes pour faire du vin, mais la Toscane ou Bordeaux, c’est loin et il fait souvent trop chaud. Là, je rentre d’ailleurs de Laponie.

Le Château de Minière
Nous avons alors cherché en Bourgogne, dans le Beaujolais et la Loire et avons finalement choisi la Loire, à une distance pas trop grande, permettant de faire des allers-retours rapidement. On a les embouteillages de Paris, mais ça va. Et on a beaucoup aimé l’aspect Loire, la culture, la nature, le fleuve de la Loire, je trouve ça incroyable. Et puis, bien sûr, c’est quand même un élément essentiel, lorsque nous avons acheté le Château de Minière, nous ne savions pas qu’il s’appelait comme cela, mais mon mari est expert minier, il travaille dans l’industrie minière depuis le début de sa carrière, cela ne pouvait mieux tomber.
Dans quel état était la propriété ?
Je voyais bien le potentiel du site, mais il a fallu travailler quand même. J’aime rénover les maisons, comme j’ai fait ici à Tervuren pour « Huisburg » (une galerie qui mêle vin et art, gérée avec Sven Vanderstichelen) ou le Gîte Les Aleines à Bouillon (pour 15 personnes). C’est un travail qui me motivait, et le vin, bien sûr, mais voilà, Minière, c’est mon boulot à présent.
Vin blanc ou vin rouge ?
On a commencé Minière en 2010 et avec uniquement des vins rouges à partir de Cabernet franc planté sur 29 hectares en AOC Bourgueil. Lorsque je disais que je faisais du vin dans la Loire, tout le monde pensait que c’était du vin blanc. Comme il y avait beaucoup de demandes, je me suis dit qu’il me fallait du vin blanc, j’ai donc planté du Chenin blanc à Minière, mais pour aller plus vite, j’ai acheté le Château de Suronde et ses 6,5 hectares de blancs en AOC Quarts de Chaume Grand Cru.
Comment se déroulent les ventes des vins ?
Je vends plutôt bien, mais comme chacun sait, nous avons connu une succession de crises. On a eu la Covid, on a eu le taxe Trump, et maintenant, une grande crise économique. L’export est devenu compliqué, mais le tourisme au domaine augmente énormément, ce que je n’avais pas prévu… Notre but était à terme de déménager au Château de Minière, mais on a vite vu que vivre en France, ce n’était pas pour nous. Du coup, on a rénové comme si c’était pour nous, mais on n’a pas déménagé et on loue donc le château à des touristes.
Quand j’ai quitté McKinsey, j’ai travaillé dans l’immobilier et j’ai aussi suivi une formation Real Estate. J’ai toujours appris en fait, je ne sais pas pourquoi, c’est un peu ma vision du monde. Donc, quand j’ai acheté Minière, j’ai tout de suite commencé une formation viti-viniculture chez Syntra en septembre 2010 pour comprendre et apprendre la technique du vin. Je ne voulais surtout pas que les gens me racontent des histoires…

Le Château de Suronde
Et tu continues à te former…
Oui, j’ai commencé WSET à Winewise, j’ai trouvé ça super intéressant et après le niveau 4, tu peux attaquer le Master of Wine. J’ai commencé avec Christophe Heynen (diplômé en 2020) mais nous n’avons pas terminé ensemble, reprend Kathleen, car j’ai arrêté un an pour m’occuper de ma mère qui était très malade. C’est quand même le plus important dans la vie…
Alors que j’étais proche de réussir le Practical – il ne me manquait que quelques points, j’ai dû à nouveau arrêter pendant la crise sanitaire. En 2021, tous les cours se donnaient en visio, sauf l’examen final en présentiel durant lequel les ventilateurs faisaient voler mes feuilles, c’était horrible. L’année suivante, cela n’a pas été non plus, j’ai alors fait beaucoup de coaching et je suis revenue à la source, c-à-d pourquoi j’étudie, et le plaisir que j’en retire.
Quel a été le sujet de ton « Paper » (= le travail final) ?
J’ai comparé trois techniques pour réduire les haloanisoles du vin responsables d’odeurs « moisies ». Les molécules les plus fréquemment rencontrées sont les TCA, TeCA et TBA. C’est très technique mais je voulais faire un sujet avec des chiffres et des analyses avec des Excel et des graphes. Un de mes œnologues à Minière m’a un jour appris que l’on peut enlever le TCA d’une bouteille bouchonnée en mettant du cellophane de cuisine dans le vin. Avec mes amis, cela devenait un peu mon « party trick », mais si cela enlève les TCA, est-ce que cela enlève aussi d’autres composantes encore plus fines. J’ai voulu approfondir ce sujet passionnant.
Il n’y a que quelques MW en Belgique…
Oui, il y a Jan de Clercq, qui fut le premier en 1998, Fiona Morrison (qui a la double nationalité belge et britannnique), Pedro Ballesteros (qui est reparti en Espagne) et Christophe Heynen en 2020, et je suis la première femme néerlandophone.
J’espère que cela me donnera un peu de visibilité mais je l’ai vraiment fait pour moi-même, je ne l’ai pas fait pour l’honneur éternel et je suis vraiment motivée par l’apprentissage.
Je fais des vins biodynamiques (à Suronde déjà, à Minière je commence) et nombreux sont ceux qui pensent immédiatement aux vins nature mais je n’en fais pas, il y a régulièrement des défauts dans ce type de vins. On commence à dire que le goût de souris, c’est de la complexité dans le vin, mais non, il faut faire attention en disant cela, il y a quand même des limites. La TCA ne vient pas forcément du bouchon, on doit oser en parler…
Quel bilan retiens-tu du parcours de Master of Wine?
C’est difficile mais c’est un challenge, je suis frustrée que cela m’ait pris autant de temps – un peu à cause de moi– mais j’adore faire des examens… Je suis quand même très fière d’avoir réussi parce que j’ai vraiment fait un grand changement dans ma tête pour en arriver là… Il faut toujours garder confiance en soi, c’est ma grande leçon.
INVITATION : Kathleen vous invite les 22-23 et 29-30 mars (de 11 à 17h) à Tervuren dans sa galerie Huisburg à célébrer son titre. Qu’on se le dise !
Infos : huisburg.be