Plongée dans le monde des vignerons bio de la Moselle luxembourgeoise.

Avec 1300 hectares de vignes sur la rive gauche de la Moselle, juste en face de l’Allemagne, le Luxembourg est souvent surnommé “le petit pays des grands vins”.

Le vin blanc est la première production (90%) mais une bonne partie sert à l’élaboration des crémants : le Rivaner tient le haut du pavé (315ha), suivi du Pinot gris (198ha), de l’Auxerrois (180ha), du Riesling (156ha) et du Pinot blanc (153ha). Elbling et le Gewürztraminer sont loin derrière. Le Chardonnay s’est bien développé depuis la création de l’appellation “Crémant du Luxembourg” en 1991.

La production est dominée aux deux tiers par les Domaines Vinsmoselle, un groupe de coopératives comptant plus de 500 adhérents, ce sont les vins les plus exportés également.

A côté de cette super structure, on trouve les Producteurs-Négociants (par exemple Bernard-Massard) et les Vignerons indépendants qui, avec 52 domaines, représentent 23% de la production. Et parmi ces derniers, on compte seulement une dizaine de producteurs bio dont voici six représentants récemment visités! Il en reste quelques-uns déjà présentés dans d’autres articles ou encore à présenter.

 

Marie KOX, 6e génération du domaine indépendant Sunnnen Hoffmann – © Vanel

 

Domaine Sunnen-Hoffmann

Fondé en 1872, le Domaine Sunnen-Hoffmann à Remerschen a arrêté son activité de négoce en 2000 et fut le premier à cultiver ses vignobles en viticulture biologique (Biolabel) en 2001. Et même l’un des premiers à planter des cépages résistants (Cabernet blanc et Pinotin).

Corinne Kox-Sunnen et son frère Yves Sunnen ont doublé leurs superficies depuis la conversion bio pour atteindre 9,5ha aujourd’hui. Formée à l’oenologie à Montpellier et dans divers stages à Châteauneuf du Pape et en Allemagne, Marie Kox (6e génération) s’apprête à reprendre le domaine.

Outre une belle production de crémants (45% du volume), trois gammes de vins sont produits: 13 vins de monocépage sur les terroirs du domaine, la Sélection Libellula en assemblage et la Sélection Insolite avec, notamment, deux vins orange (dont “5. Mée” en 50 cl) fermentés en macération pelliculaire.

La dégustation :

  • Auxerrois Schengen Fels 2020 au nez très ouvert et au fruité explosif (fruits exotiques, agrumes, épices), riche et dense  (15,20€);
  • Chardonnay 2020 Schwebsange Kolteschbierg, élévé en inox, très pur, avec une aromatique très large riche en notes de fleurs blanches et de poire, acidité moyenne, le style est tout sauf bourguignon (13,20€)
  • Pinot Gris, Domaine & Tradition 2020 Wintrange Hommelsbierg, très belle tension, élégance et finesse, pureté du fruit, très belle expression du terroir
  • Cabernet blanc Insolite 2019 : plus austère que d’autres blancs du domaine, mais plus puissant et intéressant. Léger boisé, quasi imperceptible. Belle tension. (26,50€)
  • Libellula rouge 2020: un 100% Pinotin, une variété résistante que l’on trouve également dans plusieurs domaines belges, dont le Chenoy. Fermentation spontanée, pigeage à la main. Belle couleur, nez et bouche de fruits rouges, surtout cerise et framboise, concentration agréable. Etonnament proche d’un Pinot noir. A comparer avec des productions de chez nous. (16,50€)
  • P (la lettre est suivie de trois grappes triangulaires) – Vin orange: un 100% Pinot gris en macération pelliculaire de 8 à 10 jours. Elevage en inox avec un style oxydatif et rond. Très populaire en restauration. (32,50€)

 

Jean-Paul Krier – © Vanel

Domaine Krier-Bisenius

Non loin de là, à Schengen, au domaine Krier-Bisenius, Jean-Paul Krier a suivi l’exemple de son cousin, Marc du domaine Krier-Welbes en bio depuis 2009, et a obtenu la certification de ses 7,5ha en 2012 après 25 millésimes de viticulture conventionnelle!

Une décision qu’il ne regrette pas: « le bio, c’est plus de travail, 20% en plus, souligne Jean-Paul, car on ne peut traiter qu’avec des produits de contact (qui restent sur la feuille au contraire d’un produit systémique qui entre dans la plante – ndlr) qui sont lavés par la pluie. Il faut donc souvent recommencer.

Cela faisait des années que l’on travaillait de manière bio, sans engrais chimiques, ni herbicides, c’était une évolution logique. Mais il vaut mieux démarrer avec une réserve, car cela ne se fait pas tout seul. On a perdu quelques clients dans l’aventure, mais on a gagné beaucoup plus. Et si avait on devait faire disparaître une certaine amertume de nos vins, maintenant nous n’ajoutons plus rien. »

L’opulence des sols marneux du sud de la Moselle et le soin apporté aux vignes permettent à Krier-Bisenius d’obtenir des vins au fruité convaincant.

La dégustation :

  • Pinot gris 2020 : le raisin provient, selon le vigneron, du meilleur lieu-dit au Grand-duché pour ce cépage. A dire vrai, ce Grand Premier Cru déborde d’arômes exotiques, d’ananas et d’épices avec un passage en barrique neuve et une finale salivante et très persistante. Les 14,5% vol. alc. passent inaperçus.
  • Pinot blanc 2020 Schwebsanfe Kotteschberg: sur terroir argilo-calcaire. Belle acidité et 6 gr de sucre résiduel.
  • Pinot noir 2018 – Charta: un Pinot noir assez classique mais avec une belle couleur et une concentration remarquable. Elégant, avec une petite touche sauvage propre au cépage. Légère astringence qui doit encore s’arrondir. Le 2019 n’est pas encore en vente, et il n’y en aura pas en 2021.
  • Chardonnay 2018: pas de sucre résiduel ici, élévage en barrique uniquement. Bouche bien épicée, avec un retour de fruits blancs en fin de bouche, légère salinité.

 

Domaine Kox

Situé à Remich, le domaine Kox de Laurent et Rita Kox vient d’être repris par leur fille Corinne en 2019. Celle-ci a entrepris en 2020 la conversion bio du vignoble mais prévoit une durée de cinq ans (trois seulement sont obligatoires) et souhaite aller plus loin que le bio en développant la viti-foresterie pour sortir de la monoculture qu’est la viticulture.

« Des études, explique-t-elle, ont montré que la plantation d’arbres en polycultpermet d’avoir plus facilement de l’azote assimilable pour les vignes. Les arbres peuvent faire remonter l’eau pour en faire profiter les autres plantes. J’ai donc sélectionné quelques parcelles où je vais planter, par exemple un arbre fruitier (dont je peux vendre les frutis) mais aussi où, je vais ensemencer en hiver divers légumes (salades, radis, bettes,…).

Pour l’instant, je plante une rangée à côté, mais l’idée est de planter dans le rang. Mais pour cela, il faudra sans doute arracher une ou deux rangées mais pas avant 2023 c’est une question stratégique. J’aimerais également réintroduire des tulipes sauvages ou du thym. Il faut sortir de la monoculture et  revenir à une autre utilisation des terres. »

 

Corinne Kox (cousine de Marie Kox ci-dessus) – © Vanel

 

En marge de cela, pour illustrer sa démarche, la jeune vigneronne, biologiste moléculaire de formation, a créé une cuvée particulière, Orchard (Verger), un vin dont elle tient le cépage secret (pour mettre l’accent sur le terroir) et qu’elle présente dans une bouteille en grès. Mystère certes, mais un mystère plutôt délicieux limité à 1000 bouteilles jusqu’à présent.

A côté de cela, le domaine produit ni plus ni moins que 52 vins (!) dont des Rieslings, des Pinots blancs en kvevri, selon la méthode géorgienne historique, avec de longs mois de fermentation sur peaux. Des vins étranges aux tanins superbes qui bousculent les codes de la dégustation. A découvrir. Le domaine produit également un crémant sans sulfites ajoutés.

La dégustation:

  • Orchard – Mosella 2020: mise en valeur du terroir avant celle du cépage. Belle bouteille en grès pour ce vin fin et délicat, avec une belle énergie. Original. A suivre, car ce n’est que le premier d’une série.
  • Kvevri Riesling 2018 : un long processus d’élaboration qui débute par cinq mois sur peaux en amphore géorgienne qui donne ce vin aux tanins superbes et déroutants. (18€)
  • Kvevri Pinot blanc 2014: même principe que le vin précédent. Hors normes tout simplement. (18,00€)
  • Kvevri St Laurent 2018: une acidité folle pour ce vin net et tranché et tout aussi original que les autres vins en amphores. (20€)

A suivre: Winery Jeff Konsbruck, Maison viticole Schmit-Fohl et Château Pauqué.

Suite: Partie 2 – ICI.

Marc Vanel, 12/11/21